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Sarkollande a encore frappé


Trois heures de débat télévisé retransmis en direct. En bonne et due forme, c’est-à-dire suivant la mise en scène aseptisée convenue entre les états-majors des deux candidats, encadrés par les très transparents David Pujadas et Laurence Ferrari[1. Laquelle a pu terminer ses 16 pages du Sudoku en direct, comme l’a suggéré le venimeux Nicolas Bedos sur Twitter !]. Grâce à ces deux-là, nous pouvons déjà saluer un premier progrès de la société médiatique : la parité s’étend désormais à la profession de potiche !

Mauvais esprit à part, quelques observations résument ce duel jugé « dense » par l’ensemble de la classe politique. Comprendre : chiant. Des sujets aussi incontournables et essentiels que l’euro, le multiculturalisme ou la définition de la politique étrangère n’ont été qu’effleurés. Amis de la Syrie, que vous redoutiez la guerre civile interconfessionnelle ou souhaitiez à tout prix la chute du régime Assad, il faudra repasser. Dans ce combat de premiers ministres, il a davantage été question des Ipad offerts aux écoliers par le conseil général de Corrèze ou des frasques de DSK que de la prolifération nucléaire ou de l’avenir du Maghreb, balayé le temps d’une passe d’armes sur le droit de vote des étrangers.

Quant au libre-échange et au protectionnisme, les proches d’Arnaud Montebourg et l’aile lepéno-compatible de l’UMP en seront pour leurs frais : zéro, walou, nada… Idem pour la patate chaude des 35 heures, qui n’a servi que de prétexte à l’éternelle et lassante joute entre la droite et le gouvernement Jospin, comme si le compteur des uns et des autres était resté bloqué en 1997.
Une fois n’est pas coutume, je reprendrai l’analyse inspirée d’Yves Thréard du Figaro pour caractériser cette tragédie grecque en un seul tableau : la morale (Hollande) s’opposait à l’identité (Sarkozy). Et les violents procès en incompétence proférés par Sarkozy n’ont eu d’égales que les pontifiantes leçons de morale républicaines du candidat Hollande.

La distribution des rôles fut si bien assurée qu’il est quasi impossible de décerner des prix d’excellence au détriment de l’un ou de l’autre impétrant. Si Hollande s’est montré le plus pugnace dans ses attaques contre le style du président, son bilan accablant en termes de déficit et de chômage, sa supposée tendance à « stigmatiser » et « opposer » ses concitoyens, le président sortant mérite le César du meilleur acteur. Parce qu’en partageant nombre des objectifs de son opposant « socialiste », Sarkozy s’est fait l’habile rhéteur de la flexisécurité, de la formule « nucléaire + énergies renouvelables », avocat d’une laïcité intransigeante et d’un progressisme économique échevelé. Le volet « identitaire » de son projet le fait s’engager à diviser par deux une immigration – alors que les années Jospin furent autrement plus strictes en matière de gestion migratoire, comme l’a cruellement et intelligemment rappelé son rival – qu’il habille du vert de l’islam. En face, le raide mais combatif François Hollande a adroitement jonglé entre fermeté (l’Assemblée déterminera chaque année le nombre d’entrées sur le territoire, l’immigration économique sera limitée pour ne pas créer d’armées de réserve pesant sur salariés et chômeurs…) et justice (respect du droit d’asile, ouverture aux étudiants étrangers) afin de rafler les électorats antagonistes du FN et du Modem. L’avenir proche nous dira s’il accomplit ce tour de force.

Sur un sujet tout aussi passionnel, Hollande a même osé cet éloge du pragmatisme : « Mieux vaut une position intelligente qu’une position dogmatique »… au grand dam de ses alliés de gauche plus idéologisés. Cette phrase prononcée sur le nucléaire illustre une partie du « ni-ni » qui tient lieu de viatique hollandiste : fermer la vieille centrale poubelle alsacienne de Fessenheim, périmée et établie sur une faille sismique, tout en misant sur les « réacteurs troisième génération » de type EPR, dans une improbable synthèse entre Claude Allègre et Cécile Duflot, comme seul un ancien premier secrétaire du PS peut en faire.

Pour finir, quelques détails croustillants nous en disent plus que de longs plans séquence sur les visages des candidats. Lorsque François Hollande propose « un code de déontologie pour les ministres » pour éviter les conflits d’intérêt, il se fait le porte-parole de Martin Hirsch, rentré au bercail socialiste après une petite escale gouvernementale sarkozyste. Quand le député de Tulle promet une dose de « représentation proportionnelle » à l’Assemblée Nationale, cela sent la solution miracle pour complaire aux 6 millions d’électeurs lepénistes, histoire de remédier à une anomalie démocratique sans avoir l’air d’y toucher.

Au terme de ce débat stérile, creux et spectaculaire, nous voilà bien avancés. Peu importe l’identité du vainqueur, sur lesquels tous les sondages s’accordent ; de mon côté, après avoir boycotté le premier tour, j’imiterai une nouvelle fois Brassens : le 6 mai, je resterai dans mon lit douillet !



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est journaliste.

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