Ceux qui triomphaient, dimanche 11 mars à Villepinte, étaient les paladins de la Droite populaire : on avait donné quartier libre à Thierry Mariani et Eric Ciotti pour aller gloser sur les chaînes d’infos après la performance de Nicolas Sarkozy devant le peuple UMP. Foin de circonvolutions : on entendit même Guillaume Peltier, l’étoile montante de la garde rapprochée du candidat sortant, affirmer que ce dernier d’adressait à la France du « non » au référendum constitutionnel de 2005. Peltier se payait le luxe de rappeler qu’il fut, à l’époque à la pointe du combat contre l’adoption de ce traité aux côtés de Philippe de Villiers.
On tire ainsi le rideau sur la séquence « Sarko l’européen », sauveteur de l’euro et complice d’Angela Merkel dans la mise au pli d’austérité d’une UE saisie par la débauche dépensière, pour ouvrir celle du candidat des Français de France, pourfendeur des élites sans patrie ni frontières. Le casting people était raccord : exit Johnny l’expatrié fiscal, salut Enrico le rapatrié iconique. Gérard Depardieu avait amené sa masse corporelle pour que le bon peuple de Villepinte sente qu’un Obélix était derrière le petit président qui n’a pas peur des grands.
Pour ceux qui s’interrogeaient encore sur la stratégie d’un Nicolas Sarkozy plombé par son impopularité et les failles de son bilan, le temps des questions est terminé. Ce sera l’approche maoïste du combat politique, « Révo cul dans la France pop » pour parodier la critique situationniste de la geste du Grand Timonier.
Descendu des sommets du pouvoir pour entrer dans l’arène électorale, Sarkozy commence par purger le passé : le Fouquet’s ? Le yacht de Bolloré ? C’est la faute de l’ancienne impératrice[1. Les agissements incivils de P’tit Louis Sarkozy importunant une policière de faction devant l’Elysée peuvent être interprétés comme une révolte adolescente d’un fils malheureux de voir son père charger sa mère de tous ses péchés.] qui a « fait exploser » sa famille le jour même du couronnement. Quoi de plus normal que d’aller rejoindre des copains au bistrot quand la maison est vide ? Qui reprocherait au mari délaissé d’aller se faire consoler quelques jours sur l’embarcation d’un ami compatissant ? C’est peut-être du storytelling mais cela semble efficace, car la dépolitisation des symboles les prive de leur charge négative.
Maintenant la voix est libre pour construire un candidat de combat du peuple contre les élites. C’est « feu sur le quartier général ! » ou plutôt sur tous les quartiers généraux qui font écran entre le guide et les masses : les « corps intermédiaires » syndicats, juges, enseignants, journalistes dont l’immobilisme, l’arrogance et la crispation sur leurs privilèges sont à la source des maux de la nation. Ce sont elles, les classes dominantes qui imposent leur loi à une « majorité silencieuse » dont le bon sens est tourné en dérision par les prétendus experts de la pensée complexe et les arbitres des élégances éthiques. Le besoin d’entre soi, de frontières, de réassurance sur les valeurs fondamentales de la République et la Nation est laissé en déshérence par les européistes et les élites mondialisées ? Je prends ! Je vais pourfendre les technocrates bruxellois qui laissent l’Europe devenir une passoire pour tous les miséreux de la planète.
Inversement, les déserteurs de l’impôt se verront menacés d’expulsion de la communauté nationale s’ils ne crachent pas au bassinet fiscal. En bon maoïste, Nicolas Sarkozy n’ignore pas qu’il existe des contradictions au sein du peuple, et qu’il faut les utiliser à son profit. Pourquoi les professeurs des écoles seraient astreints à vingt-six heures de présence hebdomadaire dans leurs établissements, alors que leurs collègues des lycées et collèges ne sont là que dix-huit, voire quinze heures ? Pourquoi les victimes n’auraient-elles pas leur mot à dire sur le parcours pénitentiaire de ceux qui leur ont causé du tort ? Pourquoi les salariés d’une PME désireux de conclure un « accord de compétitivité » (entendez baisse de salaire et/ou augmentation du temps de travail) avec leur patron pour sauver leur entreprise s’en verraient-ils empêchés par une bureaucratie syndicale gardienne des privilèges des nantis de l’emploi ? En s’appropriant ce questionnement, et en fournissant les réponses que le bon sens populaire est prêt à approuver, Nicolas Sarkozy devient un candidat d’opposition, renvoyant sur ses adversaires la responsabilité des échecs de son quinquennat.
L’homme fort de sa campagne, Patrick Buisson, dans un entretien au Monde, résume admirablement ce tournant stratégique : « Le projet que porte Nicolas Sarkozy s’adresse à tout l’électorat populaire. Il est clairement le candidat d’une Europe des frontières. C’est en cela qu’il est le candidat du peuple qui souffre de l’absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, dumping social, délocalisation de l’emploi, déferlante migratoire. Les frontières, c’est la préoccupation des Français les plus vulnérables. Les frontières, c’est ce qui protège les plus pauvres. Les privilégiés, eux, ne comptent pas sur l’Etat pour construire des frontières. Ils n’ont eu besoin de personne pour se les acheter. Frontières spatiales et sécuritaires : ils habitent les beaux quartiers. Frontières scolaires : leurs enfants fréquentent les meilleurs établissements. Frontières sociales : leur position les met à l’abri de tous les désordres de la mondialisation et en situation d’en recueillir tous les bénéfices ».
C’est en allant marauder dans les champs de Jean-Luc Mélenchon – seule la référence à la « déferlante migratoire » distingue ce discours de celui du Front de gauche – que l’on espère semer la confusion dans les rangs de l’adversaire. Ou, comme dirait Mao « encercler les villes à partir des campagnes ».
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