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Sarcelles: petite Jérusalem, grande désillusion

Cité des diversités heureuses, Sarcelles est devenue entre 1990 et 2020 la ville emblématique du séparatisme et des rivalités identitaires


Sarcelles: petite Jérusalem, grande désillusion
La journaliste Noémie Halioua publie "Les Uns contre les autres" © Photo: Hannah Assouline

Noémie Halioua publie Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé (Editions du Cerf, 2022)


« Ça intéresse quelqu’un ce qui nous arrive ? » Cette question, posée par une habitante de Sarcelles (95), traduit exactement le sentiment d’abandon et la détresse de populations dont le quotidien est rythmé par « l’impression de vivre dans un monde qui s’effondre un peu plus chaque jour ».

C’est pour écrire en 2018 un reportage consacré à l’agression antisémite d’un garçon de huit ans que Noémie Halioua a enquêté à Sarcelles. Elle en a tiré ce livre personnel et vivant, où, à travers ses souvenirs et ses échanges avec les habitants, elle raconte une ville charnelle, bouillonnante mais enferrée dans une impasse communautariste qui nourrit autant sa pauvreté que sa violence. Noémie Halioua a grandi dans cette ville emblématique de l’essor des villes nouvelles dans les années 60, comme de l’échec de l’utopie qu’elles portaient. Dès son enfance dans les années 90, « les quartiers étaient déjà sectorisés, séparés par une frontière invisible qui était décidée et intégrée par la population locale, accompagnée par les pouvoirs publics ». Pourtant, elle évoque des liens d’appartenance forts. Mais si les habitants se sentaient Sarcellois, ils ne s’identifiaient pas pour autant comme Français et leur communauté d’origine dictait leur façon de voir le monde.

Communautarisme étouffant et délétère, départ des « petits Blancs »

Elevée dans le vase clos de la petite Jérusalem, ce quartier où la communauté juive de Sarcelles était regroupée, ayant reçu une éducation traditionnelle dont elle parle avec une tendresse mâtinée de lucidité décapante, elle se compare à la petite sirène de Walt Disney, son film préféré. Elle rêve de voir l’autre côté du périphérique. Elle le fera. « Quitter Sarcelles ne se limite pas à un changement d’adresse postale : la bulle était sociale, économique et religieuse (…). Franchir les portes de Paris-Descartes fut un choc culturel digne d’un changement de continent. » En étudiant à Paris, Noémie Halioua raconte comment elle prend conscience de l’enfermement qu’une appartenance communautaire très forte peut susciter, mais aussi comment elle découvre l’émancipation républicaine. Elle raconte alors « une imbrication réalisable entre particularisme et universalisme », une façon de trouver sa place sans sacrifier l’héritage familial, en intégrant l’imaginaire historique et intellectuel des Lumières et de la République. « Je plantais mes racines dans une longue histoire qui me précédait, j’avais des ancêtres, une famille de pensée imparfaite mais idéaliste qui me correspondait. »

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Pendant que la jeune femme se découvre Française, Sarcelles sombre dans un communautarisme étouffant et délétère. Les villes nouvelles sont devenues des ghettos, des zones de relégation sociale et ethnique. Sarcelles est aujourd’hui une référence qui est tout sauf un modèle : elle est la plus connue de ces villes où il ne fait pas bon vivre et où l’on ne s’installe et ne reste souvent que parce que l’on n’a pas les moyens de vivre ailleurs. Bâtie au départ pour accueillir une population d’ouvriers et d’employés, la ville est devenue une de ces banlieues où se concentrent les victimes des soubresauts de l’histoire : juifs et assyro-chaldéens chassés des pays musulmans, immigrés économiques suite à la décolonisation, migrants chassés par les guerres et les violences ethniques… Sarcelles a souvent été présenté comme un laboratoire du « vivre ensemble », « vitrine du brassage entre les populations et du métissage ethnique ». Dans les faits, elle n’aura fait qu’accumuler les difficultés liées à la concentration sur le même territoire de populations aux cultures et mœurs très différentes, sans que celles-ci n’aient de modèle d’intégration à disposition : la concentration de l’immigration ayant abouti à un départ des « petits Blancs ». En guise de « vivre ensemble », c’est le « vivre séparé » qui s’est imposé : le culte des origines, l’exacerbation des différences culturelle n’a pas permis l’assimilation ni l’intégration. Les différentes communautés sont devenues des espaces identitaires fermés et en concurrence. Pourtant, si les habitants font le constat « d’une longue désagrégation du tissu social qui a amené à plus de séparatisme, plus de peur, plus de violence », c’est en décalage avec le discours des élites communautaires. Celles-ci « se serrent la pince devant les caméras et affirment que l’avenir est assuré. Nier les problèmes leur permet de conserver leur siège. » Elles alimentent aussi le déni sur la réelle situation de ces zones où les logiques ethniques et religieuses sont en train de supplanter la République.

Chacun part à la découverte de ses origines sans se rencontrer 

Pourtant, des habitants se souviennent du temps où « les dieux restaient à la maison », où les choses auraient pu être différentes. Noémie Halioua évoque l’investissement dans la culture et l’éducation populaire que portaient notamment les édiles communistes des années 60. La Maison des Jeunes et de la Culture, la bibliothèque, le forum des Cholettes (dite l’Olympia de Sarcelles), tous ces lieux de rencontre et de transmission ont été détruits ou ne jouent plus leur rôle. Même le discours autour de la place de la culture a évolué : aujourd’hui dans des espaces du repli sur soi, il « promeut un séparatisme culturel pour se défaire de son complexe colonial ». « Chacun part à la découverte de ses origines sans se rencontrer » et même quand il y a rencontre, le regard porté est négatif : la rencontre est de plus en plus vue comme un vol, une appropriation malvenue. Difficile alors de créer du commun. La culture devient incapable de créer du lien, de faire naitre un imaginaire partagé, d’aller au-delà des rapports de force et de domination, elle n’est plus une quête, ni un dépassement, encore moins une source de créativité, elle n’est plus qu’un rapport aux origines qui a tout du rappel à l’ordre.

On est passé de la culture comme vecteur d’unité, au multiculturalisme comme facteur de désagrégation de la société.

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Le témoignage d’un policier raconte ainsi une ville où il faut composer avec chaque communauté en fonction des règles des pays d’origine. Cette situation nourrit aussi un véritable clientélisme politique. L’auteur explique comment à l’occasion d’un Conseil municipal, un élu fit l’inventaire des subventions accordées aux organismes communautaires pour montrer à quel point ceux-ci sont privilégiés par rapport aux autres types d’associations et à quel point la logique communautariste guide la politique de la mairie.

Force est de constater, à la lecture du livre de Noémie Halioua, que Sarcelles témoigne du destin d’un territoire où la majorité des habitants est enfermée dans une identité ethnico-religieuse qui détruit l’idée même de commun. Ce destin n’est pas enviable et pourtant les logiques multiculturalistes et identitaires, qui créent ces zones de non-droit, se répandent.

Or on n’a rien trouvé de mieux que la République et la laïcité pour lutter contre la tribalisation du monde ! L’état de Sarcelles rappelle à la France qu’elle ne doit pas l’oublier si elle veut un avenir meilleur.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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