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Le Brésil, l’autre pays de la nostalgie

La chronique du dimanche de Thomas Morales


Le Brésil, l’autre pays de la nostalgie
"Saravah" de Pierre Barouh © Arizona Distrib.

Monsieur Nostalgie nous emmène ce dimanche au Brésil, au pays de la Samba triste, à la découverte du documentaire Saravah réalisé en 1969 par Pierre Barouh et de la réédition des poèmes de Vinícius de Moraes chez Seghers.


Nonchalance mélancolique, rythmique complexe qui puise sa veine populaire dans la musique africaine mâtinée de sonorités européennes, art de la mélodie italo-française et jazz new-yorkais de sous-cave, fausse lenteur syncopée qui roule sur la partition comme un chat se prélasse dans un plaid, la Samba brésilienne est au carrefour de plusieurs cultures musicales, une hybridation soyeuse que les Hommes de cœur ont adoptée, les soirs de détresse, en pleine guerre froide pour ne pas se perdre, pour ne pas s’entretuer, pour se réunir autour d’une guitare, pour préserver ce lien fragile que l’on nomme humanité douce. De la Samba métallique et festive, cuivrée et dansante, des écoles et des talons hauts, sur l’éclat des carnavals va naître, à la fin des années 1950, une bossa-nova qui s’infiltre dans tous les pores de la peau, une poétique du clair de lune, de la fin de l’été, des amours éphémères et existentielles. La vague bossa nous porte vers cette terre promise où une spiritualité charnelle comblerait tous nos vides intérieurs. La bossa est religion et élévation, rêverie et héritage, déracinement et bonté, utopie et détachement, elle se nourrit des temps diaboliques pour accoucher d’une soul sucrée et chaloupée, qui crie son désespoir avec la retenue d’un chevalier errant. La bossa ne pouvait éclore que dans un pays-continent, tourmenté, immense, pauvre et coloré, elle est un chemin de résilience, une tentative d’évasion élégante qui n’oublierait pas ses cultes antérieurs ; elle a été initiée par de jeunes musiciens, autant attirés par le cinéma français que par les rites du candomblé.

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Cette onde nostalgique, nouvelle vague venue des plages chaudes et des jungles asphyxiantes, a déferlé sur l’Occident quand celui-ci avait perdu sa boussole. Elle lui a ouvert une échappatoire, un espace de liberté où l’esprit pourrait vagabonder sans concepts et garde-fous. La bossa est créatrice de souvenirs, elle est le point de convergence de tous les déshérités de la Terre. Les chanteurs à la voix de velours et à la candeur infernale ont aimé instantanément cette bossa. Elle mettait des notes sur leurs impressions fugaces, elle encapsulait les méandres de leur esprit par son envoûtement céleste. Sinatra invita un jour Jobim à la télé américaine et en fit une star internationale. En France, Moustaki, Nougaro, et tant d’autres ont puisé leur inspiration dans cette source lointaine et si proche finalement. Ils ont trouvé des fragments de communion dans ce Brésil, l’autre pays de la nostalgie avec notre hexagone fissuré. Sans l’entremise de Pierre Barouh, chasseur de trésors sonores, promeneur musical, curieux des accords et arrangements novateurs, la Samba n’aurait pas connu le même succès. En adaptant en langue française, la « Samba de Bênção » de Baden Powell et Vinícius de Moraes, Barouh fit de « Samba Saravah », la pièce maîtresse de la bande-originale du film « Un homme et une femme » de Claude Lelouch en 1966. Le musicien, producteur vénéré des Japonais, acteur, un temps marié à Anouk Aimée, fut notre initiateur ; les cinéphiles ont encore en mémoire cette entrée en matière : « Faire une samba sans tristesse, c’est aimer une femme qui ne serait que belle. Ce sont les propres paroles de Vinicius de Moraes, poète et diplomate, auteur de cette chanson et comme il le dit lui-même, le Blanc le plus noir du Brésil… ». Ces mots agissent comme des sésames. Barouh, le plus Brésilien des Français ira même tourner un documentaire en 1969 sur place qui vient d’être restauré récemment (Saravah disponible en DVD, VOD, etc.). Une immersion dans la musique populaire brésilienne à la confluence des rites et des riffs. Un voyage initiatique dont le guide inspiré est le guitariste Baden Powell. Ce documentaire artisanal et fécond donne envie d’aller plus loin dans cette contrée, notamment de rencontrer Vinícius (1913-1980), l’homme qui inventa la bossa et se maria à neuf reprises, éternel adolescent d’une bossa ensorceleuse et auteur d’Orfeu Negro. Il fut également le parolier de 400 chansons dont le standard « Garota de Ipanema » rendu célèbre par Stan Getz et Astrud Gilberto sous le titre « The Girl from Ipanema » mais aussi des classiques tels que « Chega de Saudade » ou « Agua de beber ». Pour approcher ce phénome, il faut lire Je te demande pardon pour t’aimer coup à coup aux éditions Seghers traduit du portugais par Jean-Georges Rueff. Dans ce recueil, on peut lire les poèmes de Vinícius et s’imprégner de son mysticisme sentimental : « Oh, la femme aimée est l’onde solitaire courant loin des plages ».

Je te demande pardon pour t’aimer tout à coup – Vinícius de Moraes – Éditions Seghers

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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