Une tribune libre de Noémie Halioua, auteur de L’affaire Sarah Halimi (Editions du Cerf, 2018), qui estime que toute la communauté nationale peut légitement s’émouvoir de l’absence de procès
« L’émoi de la communauté juive ». C’est ainsi que secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts résumait ce dimanche l’émotion suscitée par l’affaire Sarah Halimi. Pour lui, si une dame est dévisagée par les coups puis jetée du troisième étage de son immeuble par son voisin, il convient d’ausculter ses livres de prières pour savoir s’il est autorisé ou non d’éprouver de la compassion.
Est-il seulement possible de ressentir de l’effroi, de la colère et du chagrin vis-à-vis de ce drame humain, seulement si l’on porte une kippa sur la tête ou que l’on est circoncis ? Si ce n’est pas le cas, est-il préférable d’aller se faire cuire un œuf ?
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Pour Julien Bayou, la couleur de l’identité détermine l’aptitude à s’insurger dans une affaire où un tortionnaire qui reconnait son crime échappe à un procès. Une distinction peu commune sur une base aussi universelle que celle du sentiment, qui lui a valu sur Twitter cette question ironique du journaliste Eric Naulleau. « Pensez-vous que l’indignation fonctionne par zones comme le pass Navigo ? », le questionnait-il. Et pour filer la métaphore, M. Bayou, où doit-on placer la limite entre un « ultra-communautaire » et un « électron libre », pour déterminer le curseur de l’émotion ? Bon courage à vous pour définir un périmètre que même les rabbins ne parviennent pas à tracer.
Des propos révélateurs d’une vision communautariste et tribale
Voici du moins une autre variante des théories racialistes de la militante Rokhaya Diallo, qui distingue les êtres par leur couleur de peau et qui juge opportun de donner l’accès à certains groupes de parole en fonction de la quantité de mélanine contenue dans la peau.
Bien sûr, en pointant « l’émoi de la communauté juive », Julien Bayou veut surtout dire que lui qui ne fait pas partie du « club » n’en a rien à carrer de cette histoire, ce qui est parfaitement son droit. M. Bayou a parfaitement le droit de n’éprouver aucune espèce d’intérêt pour ce qui est arrivé à Sarah Halimi, ou de simuler une grimace faussement compatissante avant de laisser échapper cette idée fameuse qui signifie peu ou prou qu’au fond, l’affaire de Sarah Halimi c’est « une histoire de juifs ». Tout comme celui des citoyens de se demander où va l’écologie politique si ses représentants les plus aguerris s’indignent davantage de l’« alimentation carnée » que de l’assassinat sauvage d’une femme chez elle. L’espèce humaine menaçant ses sœurs en voie de disparition, elle mériterait peut-être d’une certaine façon d’être abandonnée à son sort – en tout cas ce raisonnement expliquerait le fait que les écologistes militants semblent souvent plus sensibles aux traitements réservés aux animaux qu’à ceux réservés aux hommes.
L’émotion d’Emmanuel Macron
Fort heureusement, les faits sont têtus et la compassion suscitée par cette affaire transcende bien toutes les couches de la société, y compris, celles qui ne sont pas soupçonnables d’« en être ». On peut dresser la liste de ceux qui, à commencer par le président Emmanuel Macron, trouvent injuste voire insupportable la sauvagerie des coups[tooltips content= »Le président a déclaré dans le Figaro: « Décider de prendre des stupéfiants et devenir alors «comme fou» ne devrait pas à mes yeux supprimer votre responsabilité pénale. Sur ce sujet, je souhaite que le Garde des Sceaux présente au plus vite un changement de la loi. Là aussi, pas de fausse impunité » NDLR](1)[/tooltips], des cris et du silence. Même les législateurs les plus farouches sur le volet judiciaire, comme l’ancien magistrat Philippe Bilger, ne restent pas indifférents à l’aspect sordide de ce crime et conviennent qu’il est légitime d’être épouvanté en prenant connaissance de ses détails.
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Si ces propos sur l’émotion de la communauté juive n’ont aucune valeur performative, ils demeurent néanmoins révélateurs d’une vision communautariste et tribale, qui assigne à résidence identitaire les citoyens pour mieux les diviser et, in fine, les préparer à l’affrontement. Quel monde voudrait qu’un homme ne puisse comprendre la douleur d’un autre parce qu’il est différent, alors que celle-ci le plus souvent lui rappelle la sienne ? Permettez-moi d’invoquer une valeur qui peut paraître désuète, à l’heure où du séparatisme décomplexé, celle de la fraternité. Sarah Halimi a été tuée parce qu’elle est juive, mais cette tragédie n’appartient à personne, si ce n’est à tous ceux qui sacralisent la vie.
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