Hier, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a tranché en faveur de l’abolition du discernement de Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi. Pour Oudy Bloch, avocat des parties civiles dans cette affaire, c’est une nouvelle ère du droit qui s’ouvre à nous. L’usage massif du cannabis devient une circonstance atténuante, une cause d’irresponsabilité pénale. Décryptage.
Le meurtrier de Sarah Halimi Kobili Traoré ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait pas savoir que fumer du cannabis pouvait avoir des effets imprévisibles sur le cerveau. Impossible pour lui d’imaginer que la surconsommation de cannabis pourrait impacter son discernement. Pourquoi ? Parce que Kobili Traoré est un jeune à l’éducation défaillante à qui personne n’a pris soin d’expliquer que fumer du haschich est non seulement illégal mais dangereux pour la santé. Mieux encore, comme une immense majorité de consommateurs confronté à la banalisation de ce produit, il avait peu conscience de sa dangerosité. Il ne pouvait donc pas raisonnablement s’attendre, en dépit des 10 à 15 joints fumés par jour, à subir une bouffée délirante aigüe. Véridique. Il en résulte bien sûr une abolition de son discernement et une irresponsabilité pénale. M. Traoré ne saurait, dans ces conditions, être jugé aux assises pour le meurtre qu’il a commis.
Raisonnement stupéfiant
On aurait bien voulu qualifier cette défense de caricaturale, déresponsabilisante ou de farce sauf qu’il ne s’agit pas tant d’une stratégie de défense que d’un rapport d’expertise psychiatrique versé à la procédure.
Et comme les miracles n’arrivent pas qu’à Lourdes, le Parquet général, garant de l’ordre public et des intérêts de la société, avait requis de concert avec la défense que soit retenue l’abolition du discernement de Kobili Traoré.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ayant adopté ce raisonnement stupéfiant, c’est le cas de le dire, et l’éducation étant devenue un critère de constitution des infractions, il faudra désormais faire passer un test de QI dès le début de leur garde à vue pour savoir si le mis en cause est en mesure de comprendre qu’il ne faut pas conduire quand on est ivre mort ou s’il peut anticiper que mélanger de l’extasy et de la cocaïne peut déclencher une bouffée délirante aigüe.
A ce rythme, la politique judiciaire de la France va vite changer. Parce que s’il faut attendre des consommateurs de drogues qu’ils aient un diplôme de pharmacotoxicologie et connaissent l’intégralité des effets des toxiques sur leur psychisme, aucun délinquant ayant volontairement consommé de l’alcool, des stupéfiants ou des médicaments ne sera jamais tenu pour responsable. Que les chauffards, les criminels et les terroristes se rassurent, aujourd’hui en France, une prise trop importante de psychotropes pourrait bien les absoudre de leurs crimes et délits pourvu qu’elle déclenche un délire.
Sans compter que cela permettra de résoudre le problème de la surpopulation carcérale puisqu’il faudra bientôt remettre en liberté tous ceux qui n’avaient pas appris par cœur le dictionnaire Vidal avant de passer à l’acte.
Vingt condamnations
Exit donc les treize années de consommation régulière et massive de cannabis de Kobili Traoré, exit son irritabilité grandissante, sa paranoïa, ses crises de rage incontrôlées, oubliées ses vingt condamnations notamment pour violences et consommation de stupéfiants. Effacés aussi les éléments de conscience avant, pendant et après le crime puisque certains experts expliquent, pontifiants, que le discernement pendant une bouffée délirante aigüe peut être en dents de scie et qu’au final ce n’est pas de chance si Kobili Traoré ne contrôlait plus ses actes uniquement au moment de battre à mort Sarah Halimi et de la jeter par-dessus le balcon. Traoré sera donc hospitalisé en psychiatrie.
Une question toute de même : pendant combien de temps ? En effet, les experts s’accordent tous sur l’absence de pathologie psychotique chronique de Kobili Traoré. Il n’a donc pas sa place en hôpital psychiatrique. Il était, du reste, apparu tout à fait lucide lors de l’audience et ce, en dépit d’un traitement thérapeutique extrêmement allégé depuis plusieurs mois.
Se pose alors la question de ce que l’on va faire de lui car si on n’emprisonne pas les « fous », on ne psychiatrise pas non plus les personnes saines d’esprit.
Mais s’il est remis en liberté, qui s’assurera que Kobili Traoré ne refume pas de cannabis risquant de déclencher une nouvelle bouffée délirante aiguë ? Qui assumera le risque de la récidive ? Qui ira l’expliquer aux familles des victimes ?
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