L’épuisement, la fatigue, l’inconscience : je ne sais pas ce qui m’a pris ce jour-là, mais je me suis retrouvé à regarder, sans y être contraint, « Fan de » sur M6. Et je n’ai pas été déçu du voyage. Au programme de cette émission : « tout ce que les stars auraient préféré vous cacher ». Manquerait plus que ça, qu’elles nous cachent quelque chose. Heureusement que « Fan de » veille pour que le commun des mortels puisse se reposer de l’admiration excessive qu’il porte aux stars en allant renifler leurs petites culottes et fouiller leurs poubelles.
Au sommaire de cette émission : les petits secrets de Daniel Craig, le cancer du sein d’Anastacia, le GPS des stars, un truc sur Julien Doré que je n’ai pas eu le courage de regarder de peur qu’il ne se mette à chanter, les liftings de Nicole Kidman et le sujet qui arrache : « Lesbiennes à Hollywood ».
Une chose est claire : Nicole Kidman n’est pas lesbienne. Mais elle a recours à la chirurgie esthétique, comme en témoignent les nombreux changements de coiffure qu’elle opère et que M6 a ressortis de ses archives : ça ne trompe pas. Un jour, elle porte un chignon. Le jour d’après, elle a un chapeau. La salope, elle va chez le coiffeur et, parfois, ça lui arrive de passer au maquillage avant de jouer une scène. Incredible ! Avant d’avoir vu ça, j’adorais Nicole Kidman et ses allures de blonde hitchcockienne, mais trop c’est trop.
L’essentiel n’est pourtant pas là, mais dans le sujet « Lesbiennes à Hollywood ». Lindsay Loan, que je ne connaissais pas avant de savoir qu’elle s’adonnait gaiement aux amours saphiques, s’est casée avec une autre nana, Samantha Ronson, une DJ ouvertement homo. L’an dernier, Portia di Rossi, l’une des comédiennes de la série Ally McBeal, épousait en Californie l’actrice Ellen DeGeneres. Le couple avait même fait la « une » des magazines people américains. Il suffit à M6 d’évoquer, en sus, Judy Foster et Cynthia Nixon pour en conclure : tout le monde il est lesbienne à Hollywood.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Les partisans néo-réactionnaires du principe suivant lequel chacun fait ce qu’il veut de son cul s’en tamponneront franchement le coquillard de savoir si Machinette Lambda est lesbienne ou hétérote. Ce qu’on demande à une actrice ou à une comédienne, c’est de bien jouer ou de bien chanter.
Seulement, ça ne marche pas comme ça quand on est « Fan de », donc modärn : ces actrices qui annoncent qu’elles aiment d’autres actrices, ça offre à la « communauté homosexuelle une visibilité énorme ». Et, à M6, on trouve ça plutôt chouette, la visibilité.
Encore qu’à M6 on n’est pas des tanches et qu’on ne se laisse pas avoir aussi facilement. Que des stars se disent ouvertement homosexuelles, ça permet peut-être de lutter contre les « préjugés lesbianophobes » (à défaut d’avoir une ouverture, les Académiciens qui ont regardé la même émission que moi auront gagné une nouvelle entrée dans leur dictionnaire), mais il reste un sacré bout de gazon maudit à parcourir, pardon, de chemin à faire pour que le petit oiseau de Lesbie prenne son envol[1. Catulle, Le Petit oiseau de Lesbie : « Passer mortuus est meae puellae, passer deliciae meae puellae, quem plus illa oculis suis amabat ; nam mellitus erat suamque norat, ipsam tam bene quam puella matrem. » (Le petit oiseau de mon amie est mort, le petit oiseau qui faisait tous ses délices, celui qu’elle aimait plus que ses yeux ; il était doux comme le miel, et la connaissait aussi bien qu’une fille connaît sa mère.)].
Sociologue interviewée par « Fan de », Marie-Hélène Bourcier le dit sans détours : « Il y a une visibilité lesbienne à Hollywood, mais la condition c’est d’être féminine, belle, jolie et sexy. » Et Ursula del Aguila, cheftaine de rubrique au magazine Têtu, abonde dans le même sens : « Des lesbiennes à Hollywood, d’accord. Mais des lesbiennes qui doivent être bankable, sexy et qui doivent exciter les garçons hétéros. Donc, effectivement, la lesbienne masculine, qui est grosse, qui n’a pas d’argent et qui est exclue de ce monde de paillettes, elle ne sera pas dans les magazines people. »
Cette valeur néo-machiste qu’est la galanterie en souffrira peut-être, mais est-il permis de rappeler à ces dames que les boudins ne font jamais la couverture des magazines people, que le propre de Hollywood est de nous présenter de l’actrice et de l’acteur bankable, du rêve et du glamour ? Qu’elles couchent avec des filles, qu’elles couchent avec des hommes ou, le plus souvent, qu’elles ne couchent pas du tout, personne ne regarde les thons, pardon les thonnes. Et Sappho, que la légende pourtant dote d’un physique disgracieux, n’y pourra rien changer.
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