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Sanna Marin: cultures croisées, conscience de quoi?

Laissez-moi danser !!


Sanna Marin: cultures croisées, conscience de quoi?
Le Premier ministre de la Finlande Sanna Marin, Lahti, 24 août 2022 © Heikki Saukkomaa/AP/SIPA

Après la fuite d’images la montrant en train de faire la bamboche, la Première ministre finlandaise a dû se plier à un test antidrogue et présenter des excuses. Culturellement, il demeure dans la vision que nous avons de nos sociétés modernes, de nos États ou nations, une différence structurelle importante entre les simples citoyens et ceux qui s’engagent à servir la collectivité…


La Première ministre finlandaise, Mme Sanna Marin, a été filmée, et s’est laissée filmer, lors d’une danse festive avec des amis au cours d’une fête privée au mois d’août 2022. Une vidéo de cette fête a été rendue publique via les réseaux sociaux. Elle est devenue une sorte de scandale, a priori pour son opposition politique. Précédemment, une photo issue d’une vidéo prise lors d’une soirée début juillet 2022, à la résidence officielle de Sanna Marin, avait été également publiée sur Twitter. Cette photo montre Mme Sanna Marin et une amie découvrant leurs seins, cachés sur le post par le mot « Finlande », tout en s’embrassant.

Mme Sanna Marin fait ce qu’elle veut. Elle a une vie semblable à celles d’un certain nombre de jeunes femmes trentenaires. Bien entendu, elle est aussi Première ministre et cette fonction, qu’elle a donc désirée, pour laquelle elle s’est battue (la politique est aussi un combat), n’est pas encore, dans nos cultures, une fonction comme n’importe quelle fonction dans n’importe quelle entreprise privée. Du moins, les perceptions ne sont pas unanimes.

Finalement, les questions de type « sexe, drogue et Rock’n roll » sont plutôt accessoires. Chacun a les fêtes qu’il veut ou qu’il peut. Quelles appréciations et quelle conscience avons-nous de ces faits ? La question est bien culturelle et politique. Les deux ensembles.

Des perceptions à la conscience

L’enjeu est bien entendu dans la question incontournable vie privée / vie publique.

L’épisode finlandais pose aussi la question des responsabilités de droit privé / responsabilités politiques et publiques, celle des personnes assermentées (ou qui prêtent serment, engagement de l’honneur), celle des « deux corps du roi » pour les personnalités dirigeantes, etc.

Autrement dit, culturellement, il reste dans la vision de nos sociétés, des États ou des nations, une différence structurelle entre les simples citoyens et ceux qui s’engagent à servir la collectivité, ceux dont le travail n’est pas de type privé-contractuel (je fais – tu fais) mais prennent en charge notre histoire, notre devenir et surtout notre quotidien.

Indépendamment des diverses dispositions légales sur la responsabilité des dirigeants politiques, dans nos représentations et cultures démocratiques, nous estimons en général que, diriger un État, choisir de se consacrer au service du pays, ce n’est pas « un job comme un autre ». Il y a les ambitieux et les serviteurs, les orgueilleux et les humbles, comme partout ailleurs, mais la tâche est particulière.

Et nous sommes au XXIe siècle

Le changement permanent du monde s’est largement accéléré depuis plus de deux siècles et s’est emballé depuis l’informatique et Internet. Le rapport (technique) au monde s’est transformé et avec lui, notre vision de l’humain, de la planète et, bien entendu, nos mentalités avec, en premier lieu, les questions éthiques et morales.

Les soirées folles, scandaleuses et orgiaques, les beuveries impudiques d’étudiants… existent « depuis la nuit des temps ». Parfois, les rumeurs ou les réputations s’échappaient et alimentaient les imaginations. Mais, selon l’expression consacrée, ce qui se passait à la fête restait (le plus souvent) à la fête. Désormais, ce qui se passe chez vous reste disponible indéfiniment partout dans le monde, ou presque. Il suffit d’un réseau. Et tout le monde voit, sait, et a son idée sur ce qui s’est passé (ou répète celle d’un autre).

Sans doute le Roi Soleil avait ses petits secrets, ses moments à lui, bien privés. Mais du lever au coucher, Louis XIV, dit « Le Grand », avait imposé sa présence publique. Le Roi était sous le regard des autres, et à qui il imposait de fait son emploi du temps. Les soupers, concerts, théâtres, danses, les fêtes magnifiques, grandioses ou en comité restreint… toutes étaient publiques, sous le regard des autres. Le Roi était roi, de zéro heure à minuit. Sans doute cette situation (ce souvenir historique, pour un Français…) a des traces dans nos cultures politiques et sociales. On a retenu de même l’expression historique : « se retirer dans ses appartements », de fait « privés », et implicitement « secrets » pour qui n’y est pas.

Modernité des mentalités

Chacun a droit à sa vie privée, son jardin secret, qu’on montre parfois soi-même en rafale de posts pour tenter d’exister face à la concurrence. Comme une évidence : « Ben oui quoi, tout le monde le fait ! » Pourquoi ? On faisait comment avant ? Avant, cela n’existait pas (les réseaux). C’était mieux ? A moins que l’on se soit trompé sur un mot : « partage » ou « faire-part » ?

L’histoire de la vie privée a déjà été magistralement étudiée [1]. Elle démarre avec Aristote et sa distinction entre le public / politique et le privé / domestique. Mais nous voyons bien qu’au fond, même les questions juridiques du « droit à la vie privée » ou de « protection de la vie privée », ne sont là qu’en fonction de nous-même et de notre conscience.

Conscience, mentalités, avis, opinion, comportements, normes… cultures croisées

Conscience, le mot est lâché. De quoi l’affaire Sanna Marin est-elle la conscience ? Ou plutôt, de quelle conscience, personnelle ou collective, relève l’affaire Sanna Marin ? Ou encore, l’affaire Sanna Marin heurte-t-elle nos consciences ? On pourrait multiplier les formulations. Et si l’on n’y prend garde, chacun mettra son contenu dans le mot « conscience », contenu plus ou moins partagé : valeurs, morale, éthique, comportement plus ou moins acceptable, reflet des mentalités et des anciennes et nouvelles normes, etc.

En d’autres termes, de quoi avons-nous conscience, ou, que signifie pour nous « avoir conscience de » ? Dans cette actualité, le plus souvent, « avoir conscience de » dit notre avis ou opinion, ce qui nous semble acceptable ou pas, ce qui se fait aujourd’hui ou pas… Nous ne sommes plus au temps de Louis XIV, nous sommes dans des démocraties où « politique est devenu un job ».

Et si « conscience » avait une autre dimension ? Finalement, est-ce que la question est de savoir ce qu’en pensent les électeurs est importante ou non (au sens des citoyens, l’opinion des êtres politiques) ? Mme Sanna Marin a sa propre conscience, de son rôle, de son travail, de ses responsabilités. Au XXIe siècle, Première ministre, c’est son job. Et je dis « job », terme anglais qui chez nous a des accents familiers, sympathiques. Si l’on n’apprécie pas la qualité de son travail, on ne renouvellera pas son mandat (ou CDI, je parle ici en technique démocratique, pas au nom des Finlandais bien entendu).

Reste la conscience

Au-delà des jeux politiques, de la compétition politique, comme celle des commerciaux qui se battent pour avoir un marché, quelle est notre conscience de la chose politique ?

Il devient urgent de sortir la conscience du flot des idées, avis, opinions plus ou moins affectives, plus ou moins rationnelles, plus ou moins argumentées. Trouver du sens est devenu une urgence pour nos sociétés et surtout pour chacun d’entre nous. Et le sens est d’abord dans la conscience, qui se formule ensuite dans l’intellect. La conscience est personnelle. Elle ne dépend pas de notre QI mais c’est elle qui nous dit qui nous sommes, qui est l’autre et évalue nos relations dans notre humaine interdépendance.

Chacun évaluera cet épisode Sanna Marin, déjà passé. Ne laissons pas la conscience se diluer dans le flot des réseaux.

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[1] Voir notamment l’ouvrage de Philippe Ariès et Georges Duby : « Histoire de la vie privée »



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Essayiste. Dernière publication : Notre conscience nous appartient (Valeur Ajoutée éditions, juin 2022)

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