En entendant Sandrine Rousseau donner de la voix à l’assemblée, j’ai eu comme un petit goût de revenez-y. Que me rappelait donc cet air si joliment entonné par notre chère élue ? Et puis, bon sang, mais c’est bien sûr, c’était l’air du Chant des Marais ! « O terre de détresse, où nous devons sans cesse, piocher, piocher ! », « O terre enfin libre, où nous pourrons revivre, aimer, aimer. »
Ce hit des feux de camp et du répertoire militaire est l’adaptation française de « Wir sind die Moorsoldatenlied » (Nous sommes les soldats du Marais), composé en 1933 par trois prisonniers communistes allemands du camp de concentration de Börgermoor en Basse-Saxe. Pour les paroles : le mineur Johann Esser et l’acteur et metteur en scène Wolfgang Langhoff, et pour la musique : Rudolf Goguel, un employé de commerce. Ce lied, pour quatre voix hommes, « s’échappe du camp » et connaît rapidement une belle diffusion en Allemagne, en Europe et même outre-Atlantique. En 1936, le compositeur Hanns Eisler, collaborateur musical de Bertolt Brecht, l’adapte pour Ernst Busch (le chanteur, pas le général !) avec accompagnement piano. Ce dernier enregistre alors ce qui devient le « Börgermoorlied ». Quand en 1937, Busch rejoint les Brigades internationales en Espagne, cette version, reprise par les volontaires allemands des Brigades, acquiert une notoriété internationale.
A lire aussi, Denis Hatchondo: Larcher a marché, Macron a gâché
C’est ce chant de souffrance et aussi d’espérance que Josée Contreras, militante du MLF, propose, à une dizaine de ses copines, de « féminiser » en vue du rassemblement du 28 mars 1971, au Square d’Issy-les-Moulineaux, en mémoire et en l’honneur des femmes de la Commune de Paris. Cette version a seulement vocation à être interprétée à cette occasion, mais elle échappera à ses « auteures » pour devenir l’hymne du mouvement fondé l’année précédente.
Avant de postuler pour la « Victoire 2024 » de la chanteuse engagée, Sandrine aurait peut-être eu avantage à écouter son aînée Josée, à l’origine de la « création ». Interviewée par la journaliste Martine Storti pour Le Hall de la chanson, elle lui déclarait : « Je ne crois pas qu’à ce moment-là aucune de nous ait su que nous étions en train de détourner un chant qui portait une tragique charge… car, si opprimées que nous estimions être, il ne nous serait pas venu à l’esprit de nous identifier aux résistants antinazis et juifs, aux défenseurs de la république espagnole ou aux millions de victimes des totalitarismes ». Et précisait même : « J’ignore quand la chanson Nous qui sommes sans passé, les femmes… a été promue au rang d’hymne du MLF, mais une telle perspective aurait suscité stupéfaction et hilarité chez les quelques femmes du Mouvement qui l’ont improvisée un soir de mars 1971».
Stupéfaction et hilarité Sandrine ! Hi-la-ri-té-e !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !