Les gens prétendent qu’ils relisent Proust chaque été. Ils mentent, évidemment : sinon, quand je fouille dans la bibliothèque des gens qui m’invitent, je trouverais La Prisonnière avec des taches d’huile solaire. Ce qui n’est jamais arrivé. En fait, l’été, les gens lisent du polar, du thriller, du roman noir. Les libraires ne s’y trompent pas, les éditeurs non plus : un livre sur quatre vendu en France est un polar. Et pourtant, ce n’est plus une littérature populaire même si les auteurs français de polar, qui sont tous de gauche, aimeraient vous faire croire le contraire. C’est une littérature de gens qui ont les moyens d’aller en vacances et qui ont des pudeurs d’encanaillés puisqu’ils prétendent qu’ils relisent Proust. Sans mettre d’huile solaire, en plus.[access capability= »lire_inedits »]
Un livre sur quatre, c’est quand même énorme. Si on retire des quatre les livres de jardinage, les témoignages de stars et les documents, on arrive au résultat suivant : un roman sur deux acheté est un roman policier. Alors, forcément, il y a du déchet. Du déchet et des monomanies. Le polar scandinave se portait déjà très bien avant Millénium, mais depuis, c’est de la folie. J’ai pensé à changer mon nom en Baldur Leroysön, à un moment. Et raconter sur des milliers de pages comment un policier désabusé de la banlieue d’Oslo cherche qui a tué la social-démocratie. L’enquête aurait promis d’être longue. J’aurais pu facilement faire trois volumes, comme Millénium. Dans un polar scandinave, il faut cinquante pages, au bas mot, pour monter dans sa voiture, démarrer et rouler sous un temps pourri dans des pays luthériens où l’alcool est à des prix prohibitifs. Derrick, à côté, c’est l’inspecteur Harry. Bon, une première certitude : même s’il ne l’aimait pas, ce n’est pas le communisme qui a tué la social-démocratie. On ne va pas tout lui mettre sur le dos, quand même, au communisme. En plus, il a un alibi d’enfer : quand la social-démocratie a été tuée, le communisme était déjà mort.
San-Antonio : du polar garanti sans fjord ni saumon fumé
Profitez donc de ce qui reste de l’été pour vous désintoxiquer et revenir aux sources. Lisez San-Antonio, par exemple, c’est garanti sans fjord ni saumon fumé. La collection Bouquins réédite tout San-Antonio. Pour l’instant, quatre volumes sont parus. Ils correspondent aux enquêtes de la fin des années 1940 jusqu’au début des sixties (San-Antonio est né en 1949 à Lyon avec un roman qui s’appelle Réglez-lui son compte et qui ne parle pourtant pas du peuple grec.)
Il n’y a pas plus français que San-Antonio : il a de l’esprit, il plaît aux femmes, il aime la bonne bouffe et les causes perdues. C’est d’Artagnan qui jacterait argomuche et aurait remplacé sa rapière par un soufflant. En plus, ce qui n’est pas fréquent dans la littérature populaire, San-Antonio a inventé un style. Une langue bien à lui. Comme Céline. Ou Proust, tiens. C’est un personnage tellement envahissant qu’il a failli tuer son créateur, Frédéric Dard. Dard a tenté de se suicider en 1965, quand il s’est aperçu que les gens ne connaissaient plus que San-Antonio et ignoraient ses autres romans. Ce n’est pas le genre de chose qui arriverait à des Scandinaves, ça. Ou alors ils se suicideraient d’ennui en relisant leurs épreuves.
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