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Pozzi, l’ascension d’un médecin dans la haute-société

"L’homme en rouge" de Julian Barnes


Pozzi, l’ascension d’un médecin dans la haute-société
L'écrivain britannique Julian Barnes en 2007 © BALTEL/SIPA Numéro de reportage: 00539778_000007

Julian Barnes fait revivre la société mondaine de la fin du XIXᵉ siècle par le portrait d’un gynécologue-star


On ne dira jamais assez combien un titre peut-être faussement trompeur. Julian Barnes n’a probablement pas pensé en intitulant son dernier livre L’homme en rouge aux ramifications étranges, aux associations d’idées qui font le lit de la littérature et échappent à toute logique. L’auteur est toujours dépossédé de sa création par l’imagination perverse et taquine de son lecteur.

Julian Barnes ressuscite Samuel Pozzi, médecin star de la «société fin de siècle»

Tableau de John Singer Sargent, 1881

En lisant ce titre marqué par cette couleur « rouge » et associé au patronyme « Pozzi », j’ai eu quelques secondes de perplexité, oui, je m’étonnais qu’un écrivain aussi prestigieux que Barnes, traduit dans plus de quarante langues, honoré du David Cohen Prize pour l’ensemble de son œuvre, s’intéresse à Charles Pozzi (1909-2001), pilote de course et importateur Ferrari en France. Je me suis réjoui un peu vite, mon tropisme mécanique et mon admiration pour la fabrique de Modène ont été déçus. L’automobile n’a pas encore accès au champ littéraire. Un jour, peut-être, lui donnera-t-on ses lettres de noblesse ?

Barnes s’intéresse à un autre Pozzi prénommé Samuel (1846-1918), un garçon de Bergerac qui, à force de talent et d’opiniâtreté allait séduire toute la belle société littéraire, aristocratique, politique et financière de son temps, faisant de lui, un homme riche, distingué, convoité, charmant aussi bien les patientes des hôtels particuliers que des malades plus « ordinaires ».

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Collectionneur averti et bibliophile érudit, ce médecin fut également un sénateur dreyfusard qui a combattu le poids de l’Église à cette période charnière. Star des blocs, libre-penseur, élu de la Nation, ne résistant pas aux aventures féminines, il a cumulé les honneurs et les amitiés prestigieuses. Il eut même « le loisir » de révolutionner la pratique de son art. Père de la gynécologie moderne, soucieux d’une prise en charge humaine et de l’hygiène dans les salles d’opération, Pozzi semblait avoir hérité de tous les dons puisqu’il affichait le physique avenant d’un acteur de cinéma.

Le docteur Pozzi dans son intérieur

Quelque chose de souverain et doux, de raffiné et de volontaire, de perdu aussi. S’il était né quelques années plus tard, sans nul doute qu’Hollywood aurait consacré un biopic à ce Clark Gable en blouse blanche. Julian Barnes tente de percer le mystère de ce personnage hors du commun dans une ambiance fin de siècle, maniérée et éclatante, profondément irritante et diablement stimulante d’un point de vue artistique. « Le docteur Pozzi dans son intérieur », tableau peint par John Singer Sargent en 1881 lui sert de point de départ à cette enquête, plutôt un voyage au temps des dandys, de la décadence et des apparences assassines.

Par touches pointillistes, Barnes plante le décor d’une société vipérine, percluse de rumeurs, salonarde à l’excès et flamboyante à s’en brûler la rétine. Barnes a choisi le portrait éclaté, il multiplie les angles de vue pour donner à cet ensemble si peu cohérent un semblant d’homogénéité et traduire une atmosphère presque suffocante. La séquence historique autour de l’année 1900 est une plaque tectonique où se percutent des mondes anciens et nouveaux, où le progrès de la science achoppe sur les médisances mondaines, où le factice et le tangible jouent une partie serrée. Ce qui fascine dans cet ouvrage, ce sont les hommes, leur irrépressible besoin de faire des mots, des phrases, d’agir à tort et à travers, de se parer de supposées vertus. La psychologie patraque restera pour longtemps la matière première des écrivains.

Un générique impressionnant

Dans cette galerie de portraits croisés, Barnes fait tournoyer une galaxie autour du pivot Pozzi, tout un manège désenchanté : Oscar Wilde, le comte Robert de Montesquiou, Sarah Bernhardt, Jean Lorrain, les frères Goncourt, Huysmans, le prince Edmond de Polignac, etc… Barnes nous donne parfois le tournis, on perd souvent le fil, il n’est pas adepte d’une ligne claire mais cette frénésie de points d’accroche dit quelque chose de cette époque pétillante et vaine, celle des derniers feux d’artifice avant la vraie mitraille de 14-18.

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La philosophie qui se dégage de ce livre est empreinte d’une mise à distance salutaire, une forme avancée de clairvoyance. Barnes se méfie du biographe des chambres à coucher qui connait tout de son sujet d’étude, de ses premiers bulletins scolaires à l’énumération de ses maladies vénériennes : « On ne peut tout savoir. Modérément employée, c’est une des plus fortes phrases dans le langage du biographe : elle nous rappelle que la suave histoire d’une-vie qu’on lit, malgré tous ses détails, sa longueur et ses notes en bas de page, malgré toutes ses certitudes factuelles et ses solides hypothèses, ne peut être qu’une version publique d’une vie publique, et une version subjective d’une vie privée ».

L’homme en rouge de Julian Barnes – traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin – Bibliothèque étrangère Mercure de France.

L'homme en rouge

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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