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Une nuit ordinaire au Samu

Récit d'un médecin régulateur noyé sous les insultes et les faux témoignages


Une nuit ordinaire au Samu
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Témoignage d’un médecin régulateur du Samu noyé, chaque soir, sous les insultes et les faux témoignages.


Naomi Musenga, 22 ans, est morte fin décembre 2017 après avoir été moquée par des régulatrices du SAMU du Bas-Rhin. Ce fait divers a attiré l’attention sur le travail que j’exerce, celui de médecin « régulateur », c’est-à-dire les médecins qui répondent quand on compose le 15.

Mon témoignage ne prétend pas représenter la totalité des situations dans les SAMU de France. Mais il éclaire comment les moyens d’urgence médicale peuvent être saturés à mauvais escient, et au détriment des urgences réelles.

Cette nuit-là fut marquée par 5 appels typiques :

Homme de 50 ans, cervicalgie

  • Ce que vous me décrivez évoque une névralgie cervico-brachiale non compliquée. Il faudrait voir le médecin de garde pour qu’il vous examine et vous donne un traitement. Sur votre secteur, c’est SOS Médecins qui est de garde, je vous donne le numéro ?
  • Non, je n’ai pas d’argent, je vais aller aux urgences, c’est gratuit.
  • Vous pouvez demander qu’il fasse exceptionnellement le tiers-payant, il va rester quelques euros à payer.
  • Non, je n’ai rien sur moi.
  • Écoutez, si vous le demandez aimablement, en général, on accepte toujours d’attendre 4 jours que vous soyez remboursé avant de toucher le chèque.
  • Je n’ai pas de chéquier, je vais aller aux urgences plutôt, tant pis, j’attendrai.
  • Monsieur, votre cas relève de la médecine générale, vous n’allez pas encombrer les urgences alors que ça peut être géré en ville. Allez, je vous donne le numéro: 08 21…
  • Ah, c’est un 08, je ne peux pas appeler les 08 avec mon téléphone.
  • Docteur ? Je vais aux urgences ?

Voilà comment un problème social va encombrer les urgences « parce que c’est gratuit ». Cette situation se passe plusieurs fois par garde, sans compter les gens qui n’appellent pas le 15 et vont directement au SAU (Service d’Accueil et d’Urgence) pour un simple problème de médecine de ville.

Homme qui appelle pour son amie de 54 ans qui présente des vertiges, l’un comme l’autre sont très alcoolisés

  • Vous pouvez me la passer Monsieur ?
  • Vous n’envoyez pas d’ambulance ?
  • Voyons déjà le problème médical de votre amie, passez-la moi. Bonjour madame, vous avez des vertiges? 

Là on entend Monsieur chuchoter : « Dis que t’as mal à la poitrine », puis « dis que t’as des palpitations ».

Je demande à Monsieur de laisser Madame répondre à mes questions. Des vertiges initiaux, on passe à la douleur thoracique selon Monsieur. Mais les réponses de Madame sont plus évasives : elle ne demande pas d’intervention. C’est Monsieur qui veut la placer à l’hôpital.

  • Bon, docteur, vous l’envoyez cette ambulance, vous voulez une autre affaire Noémie (sic) ? Moi je vais porter plainte, je vais porter plainte demain, blablabla…
  • Monsieur, vous porterez plainte si vous voulez, mais pour l’instant je vais vous donner le numéro de SOS Médecins pour qu’ils viennent examiner votre amie et faire le point.
  • Je porte plainte, je porte plainte, vous savez que vous êtes enregistré, etc.
  • Monsieur, vous porterez plainte demain, je vais même vous donner mon nom pour gagner du temps, pas de soucis, mais pour l’instant on perd du temps pour votre amie, prenez le numéro…
  • Je porte plainte demain, vous laissez une personne au sol depuis une heure, elle ne peut plus marcher depuis sa chute, blablabla.
  • Mais Monsieur, je vous ai demandé dès le début du coup de fil, vous m’avez dit qu’elle était assise à côté de vous avec des vertiges, vous ne m’avez jamais parlé de chute, je vous ai demandé s’il y avait eu un traumatisme… On vous envoie une ambulance.
  • Je porte plainte, le SAMU, Noémie, blablabla.
  • Monsieur, surveillez là, mettez la en PLS, l’équipe arrive… 

Tous les soirs, les patients nous mentent pour obtenir un transport ou une admission à l’hôpital. Le plus classique étant la plaie de main du jeune de 25 ans qui réclame une ambulance pour se rendre au centre hospitalier distant de 2km, avec les mots-clefs « je n’ai pas de voiture, je n’ai pas de voisin, pas d’amis, pas de famille qui peut m’emmener, pas d’argent pour le taxi, pas de ticket de métro, et je ne peux pas marcher, ça saigne, faites vite ».

Traumatisme crânien d’une enfant de 2 ans vers 22h

Elle a vomi 15 minutes après le choc, mais l’examen neurologique restant normal, je lui donne la consigne d’emmener rapidement l’enfant au Service d’Accueil et d’Urgence pour un examen par un pédiatre, choix plus rapide étant donné l’indisponibilité des deux ambulances de garde. La mère acquiesce.

Une heure plus tard, le père rappelle car l’enfant a vomi à nouveau dans son lit.

  • Mais je vous croyais aux urgences ? Votre épouse m’avait dit l’emmener aussitôt !
  • Elle voulait dormir alors on est restés.

Les gens sollicitent votre aide et vos conseils à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, mais n’écoutent pas les consignes simples et précises du médecin régulateur. Et c’est quotidien.

Appel d’un patient pour sa cousine à 4h du matin, appel initial vers le 18 qui nous renvoie l’appel

L’Assistant de Régulation Médicale du 15 vérifie l’adresse et repose quelques questions car l’accent fort est difficile à comprendre. Puis il me passe l’appel qui reste en attente car je régule déjà une autre urgence. Je prends l’appel dans les 2 minutes :

  • Bonsoir Monsieur, je suis le méd…
  • C’est quoi ce bordel, vous allez nous faire attendre combien de temps, vous voulez une autre affaire Noémie? On va porter plainte, non mais dis donc…
  • Monsieur, arrêtez de me hurler dessus, on perd du temps pour votre amie.
  • C’est ma cousine, Monsieur, je l’ai déjà dit aux pompiers, vous allez nous faire attendre combien de temps, je porte plainte si ça continue !
  • Monsieur, portez plainte si vous voulez mais revenons aux douleurs abdominales de votre cousine.
  • Mais qu’est-ce que vous dites, elle a mal au ventre, vous l’envoyez cette ambulance?
  • Monsieur, je cherche à comprendre ce qu’il se passe. A-t-elle de la fièvre ?
  • Mais c’est quoi ces questions ? Vous l’envoyez cette ambulance ? Je vous dis qu’elle a mal au ventre dis donc !
  • Bon, passez-la moi !
  • Elle peut pas !
  • Monsieur, passez-la moi, je l’entends derrière vous ! Madame, à quel endroit du ventre avez-vous mal ?
  • J’ai mal au ventre…
  • Madame, pour m’aider à comprendre vous avez mal à droite, à gauche, en haut, en bas ?
  • J’ai mal partout…
  • Depuis quand, expliquez-moi le contexte, vous avez vomi ?

L’homme reprend le téléphone :

  • Puisqu’elle vous dit qu’elle a mal au ventre, vous allez l’envoyer cette ambulance sinon on porte plainte !

Je capitule, impossible de comprendre ce qu’il se passe. Nos deux ambulances sont déjà en intervention. On cherche alors un véhicule des pompiers, au risque de ne plus avoir d’intervenant disponible pour un accident de la voie publique ou autre urgence. Précisons que les pompiers factureront bien sûr cette intervention à l’hôpital.

Le cas relevait finalement de la médecine générale, mais l’interrogatoire impossible et les menaces nous auront fait courir deux risques majeurs : celui de passer à côté d’une urgence vitale type Naomi, et celui de se démunir de tous nos moyens pour un cas banal de médecine générale.

Les menaces sont quotidiennes, le blocage de l’interrogatoire récurrent. Certaines populations restent floues et décrivent le même malaise et le même degré d’urgence que l’appel soit pour une angine ou une péritonite.

Appel d’une femme de 39 ans vue le jour même par son médecin traitant pour une hernie inguinale

  • Votre cas s’est aggravé après avoir vu votre médecin ?
  • Non, mais il m’a prescrit une échographie et je n’ai rendez-vous que dans quatre semaines alors je voulais une ambulance pour aller aux urgences et avoir les examens dès ce soir, je ne veux pas attendre !
  • Madame, vous ne me décrivez aucun signe de gravité, votre médecin a déjà tout prévu, il faut juste patienter et nous rappeler si les signes de gravité évoqués précédemment apparaissent.

Elle a eu l’honnêteté d’appeler et d’expliquer sa démarche. Mais combien de personnes filent directement aux urgences pour court-circuiter les délais d’attente des examens complémentaires ?

Au-delà de la faute détachable d’un agent et d’une chaîne défaillante d’un hôpital public, il faut bien comprendre que les métiers de la régulation médicale deviennent de plus en plus difficiles. Un jour il n’y aura plus personne volontaire au bout du fil pour répondre, se faire manipuler et se faire insulter.



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