Sam Millar ne triche pas, ni avec sa vie, ni avec l’écriture. Irlandais de Belfast, né en 1958, il sait avec quelle violence l’histoire s’est imposée dans ce coin oublié d’une Europe qu’on nous racontait être partout pacifiée.
IRA, prison, braquage, prison
Combattant de l’IRA, il fait connaissance avec la prison de Long Kesh pendant huit ans, ce Guantanamo où Thatcher laissa mourir d’une grève de la faim Bobby Sands et ses compagnons qui demandaient le statut de prisonnier politique.
Ensuite, Millar part aux Etats-Unis et comme le soldat perdu qu’il est devenu, il participe à un des plus célèbres braquages des années 90, celui de la Brinks à Rochester en 93. A nouveau la prison, à peine plus supportable que Long Kesh, la grâce accordée par Clinton deux ans plus tard et ensuite, retour au pays. Pour de plus amples renseignements sur Millar, il a tout raconté, sans pathos ni hyperbole, dans On The Brinks, son autobiographie disponible en Points Seuil.
Styliste du roman noir
Millar est un combattant, un survivant et un styliste du roman noir. Son dernier roman, Au scalpel, est une nouvelle enquête de son privé fétiche, Karl Kane. On peut penser que Karl Kane lui ressemble : un code de l’honneur rigoureux, une sensibilité d’écorché vif masquée par une virilité qu’il sait surjouée, une lucidité désespérée sur les noirceurs de l’âme humaine, la certitude que Dieu n’existe pas même si, en bon catholique irlandais minoritaire dans son propre pays, il l’invoque souvent, en vain évidemment.
Comme tout privé qui se respecte, Kane a une secrétaire, Naomi, mais pour le coup, elle est le grand amour de sa vie. Dans Au scalpel, Kane affronte des démons habituels qui n’en sont pas moins terrifiants : la pédophilie, le gangstérisme endémique lié à la came, la démence des assassins qui jouissent des souffrances qu’ils infligent.
On y verra deux gamines enfermées dans une cave : l’une a perdu toute sa famille et ne le sait pas et l’autre était en rupture de ban d’une institution religieuse où elle a tué un prêtre qui avait pris de très sales habitudes en lui enfonçant deux aiguilles à tricoter dans les yeux.
Une narration sans tunnels
On demande à Kane de retrouver la première gamine. Il comprendra assez vite qu’il connaît le malade qui les a enlevées puisque c’est le même qui a dévasté sa propre enfance. Comme rien n’est simple, il lui faut en même temps se débarrasser d’un mafieux londonien qui veut trouver de nouvelles parts de marché à Belfast.
Pourquoi prend-on un tel plaisir à lire Millar ? C’est tout bête, il sait raconter des histoires et contrairement à nombre de ses confrères et consœurs du roman noir, il ne se croit pas obligé de multiplier ces « tunnels » qui sont en fait des descriptions interminables, histoire de montrer que l’auteur est un bon élève qui a su se documenter.
Millar n’en a pas besoin, Millar nous donne à respirer la tristesse de Belfast, l’odeur d’un pub, l’allure d’une rue déserte en quelques lignes. On va vite chez Millar et cette rapidité est inversement proportionnelle à la profondeur psychologique à laquelle il sait plonger et à sa manière de traiter l’horreur, sans complaisance mais sans concessions.
L’envie de trinquer avec Kane
Le lecteur n’a qu’une envie, malgré tout, c’est de faire la connaissance de Karl Kane et d’aller trinquer avec lui et Naomi dans un pub, à condition qu’un flic politique de la Special Branch ne vienne pas faire de la provoc.
Et avec Sam Millar aussi, d’ailleurs, qui met une citation en exergue de chacun de ses courts chapitres et est capable de citer Homère, Chuck Norris, Mark Twain ou les Proverbes avec la même pertinence ironique.
Au scalpel, Sam Millar (traduction de Patrick Raynal, Seuil, collection Cadre Noir, 2017)
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