Salvador Dalí était-il un génie ?

Une véritable somme sur un peintre génial qui évoluait entre surréalisme et publicité.


Salvador Dalí était-il un génie ?
Un homme regarde une photographie de Salvador Dali, Barcelone, 06/10/2003. BERNAT ARMANGU/AP/SIPA

La monumentale biographie écrite en anglais par Ian Gibson vient d’être traduite en français. On y découvre que Dalí était un authentique surréaliste, avant d’être un véritable croyant catholique, bien que ses dernières années soient peu glorieuses.


Le genre biographique, désormais, a ses propres conventions. Le temps est loin où La Fontaine, voulant écrire la vie d’Ésope, débutait par un prudent : « Nous n’avons rien d’assuré touchant la naissance d’Homère et d’Ésope. À peine même sait-on ce qui leur est arrivé de plus remarquable. » De nos jours,un biographe ne pourrait être aussi restrictif. Il lui faut tout dire, avancer tous les faits, et que son enquête journalistique n’ait rien laissé dans l’ombre. Dans sa somme sur Salvador Dalí, qui vient d’être traduite en français, l’écrivain irlandais Ian Gibson propose de nous raconter, au jour le jour, « la vie effrénée » du peintre surréaliste. Entreprise ambitieuse que de s’attaquer ainsi à celui qui se revendiquait comme un « génie », à l’égal de Picasso ou de Raphaël. Il faut à Ian Gibson plus de 600 pages (on est loin d’Ésope) pour révéler la personnalité emblématique de l’inventeur des « montres molles ».

Un peintre surréaliste avant tout

L’un des aspects les plus intéressants, à mon sens, du livre de Ian Gibson, consiste à revendiquer pour Dalí une appartenance indiscutable au mouvement surréaliste. Dalí, en réalité, doit tout à cette influence majeure, qui le ramenait à ses préoccupations les plus intimes. Le personnage important de l’époque, pour lui, c’était André Breton, tête pensante et autorité fédératrice du mouvement. Ian Gibson note par exemple, à propos du jeune Dalí : « Non seulement Dalí suivait le travail de Breton avec une grande attention, lorsqu’il apparaissait dans La Révolution surréaliste, mais il se procurait ses livres… » Le Second manifeste du surréalisme, indique Gibson, marqua profondément le peintre. De son côté, Breton n’hésitait pas à faire savoir combien fut importante pour lui la production de son cadet, et cela, dès la fin des années 1920. Comme l’explicite très bien Gibson, pour résumer cet état de fascination réciproque, du moins à cette date : « Pour Breton, l’œuvre actuelle de Dalí apporte une contribution dévastatrice à l’attaque des surréalistes contre les valeurs de la société contemporaine et contre la réalité conventionnelle. » Cette relation entre les deux hommes, cette « amitié d’astres » comme disait Nietzsche, est vraiment une très belle chose, même si, par la suite, Breton prit ses distances avec « Avida Dollars ».

Sa rencontre fulgurante avec Gala

Ian Gibson estime que ces années surréalistes de Dalí, jusqu’à son départ pour l’Amérique en 1940, sont les plus belles de sa carrière. Ian Gibson est davantage journaliste que critique d’art. Il énumère les peintures de Dalí, à l’occasion il les décrit, mais n’essaie jamais d’en faire ressortir l’indicible beauté. Cependant, tous les éléments sont mentionnés, tout ce qui a pu avoir une empreinte directe sur la création du maître. Ian Gibson, ainsi, n’omet pas d’insister sur la sexualité de Dalí qui, on le sait, était fondée, pour une large part, sur l’onanisme (voir son tableau Le Grand Masturbateur, 1929). Sa rencontre fulgurante avec Gala fut un éblouissement érotique inoubliable. Ian Gibson, au passage, rend justice au personnage extraordinaire que fut Gala. C’est un des meilleurs passages du livre.

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La méthode paranoïaque-critique

Ian Gibson s’arrête longuement sur une invention essentielle de Dalí, qu’il a dénommée la « méthode paranoïaque-critique » et qu’il a décrite à plusieurs reprises, notamment dans un article paru dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution (juillet 1930) et intitulé « L’âne pourri », dont Jacques Lacan fut le lecteur admiratif. Dans son Journal d’un génie, Dalí en donnait l’explication suivante : « D’une façon générale, il s’agirait de la systématisation la plus rigoureuse des phénomènes et des matériaux les plus délirants, dans l’intention de rendre tangiblement créatives mes idées les plus obsessivement dangereuses. » Gibson relate que le grand-père de Dalí souffrait de paranoïa. Et Dalí avait lu aussi certains livres de Freud, récemment traduits en espagnol, en particulier l’Introduction à la psychanalyse, où le Viennois affirmait que la paranoïa apparaissait chez l’individu pour « repousser des impulsions homosexuelles excessivement fortes ». Le désir homosexuel était l’une des hantises de Dalí.

Le Dalí « publicitaire »

Et puis, il y a bien sûr le Dalí « publicitaire », celui des frivoles années 70 surtout. Ian Gibson se désespère de voir un si grand artiste plonger dans de tels abîmes de vulgarité. Il écrit, à mon avis fort justement : « Un goût excellent était bien la dernière chose qui caractérisait le peintre, dont le but, ainsi qu’il l’avoua plus tard, était de crétiniser le public. » Il est vrai que Dalí a pu choquer délibérément ses admirateurs, par exemple en se ralliant à Franco, lorsqu’en 1948, avec Gala, il est revenu en Espagne. Mais pourquoi, sur une autre question, réservée à la conscience stricte de chacun, je veux parler de la religion, remettre en cause, comme le fait Ian Gibson, la sincérité de Dalí ? Sur ses vieux jours, Dalí, profondément désespéré, a cherché, je le cite : « les signes d’une renaissance spirituelle avec l’Église de Rome en fer de lance ». Or, voilà que cela ne plaît pas à son biographe − dont il faut pourtant, je crois, lire le livre, car il transmet au lecteur l’authentique folie de Dalí, dont l’écho, désormais plus familier à nos oreilles, propage une indestructible résonance de vérité.

Ian Gibson, La Vie effrénée de Salvador Dalí. Éd. Le Cherche Midi, 664 pages, 89 €.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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