Pas de chagrin en ce matin de mars, de l’émotion mais pas de chagrin.
Je me souviens de cette fascination de jeunesse pour l’Amérique latine. De ces images de la mort de Guevara. De la libération de Régis Debray. Du romantisme de nos 20 ans.
Je me souviens de la fête de l’Huma en septembre 1973 et des Quilapayun sur la grande scène. « El pueblo unido jamás sera vincido ». Tu parles ! Je me souviens du moment où j’ai appris à la radio le coup d’état du 11 septembre et la mort d’Allende. Je me souviens de la manifestation « des forces de gauche », avenue de la Tour-Maubourg devant l’ambassade du Chili. Des visages ravagés, de ce cortège qui se savait funèbre.
Je me souviens de ce meeting à la Mutualité où Krivine et ses amis, toujours réalistes, réclamaient des « brigades internationales pour le Chili » !
Je me souviens de l’horreur absolue ressentie après coup d’état en Argentine. De mon incompréhension devant les orientations du Parti Communiste argentin. De mes discussions sans fin avec mon ami David Naishtat, dirigeant de ce même parti essayant de soutenir cette ligne de composition avec l’insoutenable. De ma résignation à l’annonce de son suicide. Je me souviens de ces amis exilés argentins et chiliens, qui avaient connu dans leur chair les subtilités du « plan Condor ». Je me souviens de Marcelle Bernard, digne vieille dame, qui se rendait régulièrement au Chili en prenant tous les risques. Et qui me répondait que ce n’était pas plus dangereux que la Résistance qu’elle avait faite.
Du sentiment d’impuissance qui ne me quitta jamais, alors que je présidais « France Amérique latine ».
Je me souviens de l’insurrection au Nicaragua, du prix humain payé pour la chute de Somoza, ignoble brute corrompue, dont Roosevelt aurait dit en 1939 : « c’est un fils de pute, mais c’est NOTRE fils de pute ». Je me souviens de cette tournée dans la zone où les «contras » armés et payés par les États-Unis menaient une contre-révolution. De mon garde du corps, qui fut tué le lendemain. De cette bouleversante messe chantée dans un bidonville de Managua.
Je me souviens de la première rencontre entre Luis Carlos Prestes, le « chevalier de l’espérance » brésilien et Tomas Borge, le fondateur mythique du Front Sandiniste. De l’abrazo qu’ils me donnèrent ce jour-là et que je vécu comme un adoubement
De mon impression, malgré l’exaltation, que cela ne marcherait probablement pas.
Je me souviens de l’insurrection au Guatemala qui déboucha sur un bain de sang.
Je me souviens, de tous ces amis, morts ou perdus de vue, mes camarades.
Je me souviens de tous ces enterrements, où il fallut ensevelir des amis ou des espoirs.
La première fois que je vis Chavez, il était en uniforme. Pour moi, c’était bon signe. Par atavisme familial, et depuis le 25 avril 1974 au Portugal, j’aime bien les militaires. Surtout s’ils se rangent aux côtés du peuple.
Ensuite, contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’était pas un romantique.
Courageux, bravache, contradictoire, voire fantasque, mais pas romantique.
Leader charismatique, bien sûr, mais constamment réélu.
Face au géant américain ? Même pas peur !
Et voilà que sur cette ligne-là, le sous-continent s’ébroue, d’autres apparaissent, Bolivie, Équateur. Eux aussi réélus.
À leur façon, Brésil, Argentine s’y mettent aussi. Et l’Uruguay…
Au moment où les médiacrates français ignorants vont abreuver Hugo Chavez et sa mémoire d’insultes (le titre de Libération ce matin !), Il m’a semblé, que notre génération, avait peut-être une petite dette. Le romantisme est parti avec les années.
Grâce à Chavez, le deuil en sera plus facile.
Salut camarade commandant, et merci.
*Photo : Globovisión.
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