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La crise est dans le pré


La crise est dans le pré

salon agriculture paysans

Lorsque l’agriculture s’autocélèbre à Paris chaque année, comme c’est le cas avec le salon qui vient de fermer ses portes, les médias disent qu’elle vient à la rencontre des Parisiens. Les politiques s’y mettent en vitrine et flattent la croupe des vaches, heureux de constater qu’ils ne sont pas les seules bêtes à concours. Ainsi sont ceux qui font l’opinion : avec eux, l’amour est dans le près, le tout près. Mais au-delà du périphérique, qui connaît vraiment l’agriculture française ?
D’abord, une précision sur la fréquentation du salon : contrairement au cliché journalistique, les Parisiens y sont minoritaires. On y rencontre des agriculteurs de toutes les régions de France, qui conjurent le stress du métro en l’empruntant groupés, le verbe haut. Mais aussi des visiteurs venus des banlieues plus ou moins lointaines, dont le melting-pot ferait rougir un organisateur de concert de SOS-racisme. Cet intérêt consensuel pour un secteur réputé traditionnel de l’économie française montre que nos concitoyens nourrissent un lien fort avec leur agriculture.
Traditionnel, soit, mais en constante évolution. Nos aïeux paysans, s’ils revenaient, auraient du mal à se reconnaître dans l’agriculture d’aujourd’hui, que la modernité a bouleversée de fond en comble en deux générations. Ils se demanderaient où sont passés leurs pairs : les exploitants agricoles ne sont plus vraiment nombreux dans le paysage, à peine plus de 3% de la population active totale. En 1955, la France comptait 2,3 millions d’exploitations. Vers 1980, un million. Aujourd’hui, leur nombre avoisine les 500 000. Le nombre d’actifs non salariés agricoles diminue tous les ans et a été divisé par deux en vingt ans. Les salariés sont également moins nombreux, mais la baisse se révèle plus stable sur la durée. La crise économique participe à cette tendance, qui est cependant plus ancienne, et qui tend hélas à s’accélérer. Faute de combattants, les statistiques démographiques sont impitoyables : la population agricole vieillit.
Crise des vocations ? Les installations, plus tardives en moyenne que jadis, sont loin de compenser les cessations d’activité. Il faut en vouloir pour débuter ou reprendre une exploitation agricole aujourd’hui. Le coût et la rareté du foncier, les normes sanitaires draconiennes et souvent changeantes, les quotas de production, la volatilité des marchés, la pression de la grande distribution, les prix constamment soumis à la concurrence des pays à faible coût de main-d’œuvre font le quotidien des soucis des agriculteurs.
Or le métier d’exploitant agricole reste encore une vocation. Peu de professions mêlent à ce point la vie privée et la vie professionnelle, même si ses représentants actuels partent davantage en vacances que leurs devanciers. Au stress financier qui représente une menace directe sur le patrimoine, s’ajoute pour beaucoup d’entre eux l’isolement. Pour celles et ceux qui ont la chance d’avoir un conjoint, celui-ci travaille souvent en dehors de l’exploitation. Quant aux célibataires, ils peinent à trouver l’âme sœur, et c’est ainsi qu’on voit parfois des cars de célibataires étrangères affrétés par des agriculteurs français, qui espèrent y trouver leur tendre et courageuse moitié. C’est donc sans surprise que les professions agricoles présentent un fort risque psycho-social, pour parler pudiquement. Il n’y a pas que chez Orange ou La Poste.
Trop sombre, ce tableau ? La réalité est plus contrastée. Un monde sépare les propriétaires de grands crus bordelais des exploitants sous contrat de fourniture avec les grandes entreprises agro-alimentaires. Ils forment une agriculture prolétarisée, dont les effectifs ne cessent de grossir. Elle est mal défendue par les syndicats et méconnue du grand public. La souffrance sociale s’exprime ponctuellement dans des jacqueries du vingt-et-unième siècle, comme les actions coup de poing dans l’ouest de la France, à la veille du salon de l’agriculture. Elles révèlent des situations désespérées, en particulier dans la filière du lait.
Être paysan dans un pays qui a presque perdu sa paysannerie, ça a de quoi se faire s’interroger sur son identité. Phénomène renforcé par l’extraordinaire éclatement des structures d’exploitation, de moins en moins familiales, et se tournant de plus en plus vers des fonctionnements par projets au détriment de logiques d’installation. Mais aussi par la fin de l’opposition entre milieu rural et milieu urbain, qui contribue à la perte des repères ruraux d’antan. Au passage, on peut s’interroger sur l’inconscience des communes qui « viabilisent » pour les lotir des milliers d’hectares de bonnes terres, désormais perdues pour les cultures.
La crise, ou plutôt les crises, couplées aux valses-hésitations des politiques européennes, l’agriculture en a essuyé plus que n’en pourraient supporter des pans entiers de l’industrie ou des services. Ce qui peut apparaître comme une malédiction pourrait néanmoins se muer en force : ce secteur conserve un dynamisme étonnant, qui réserve des surprises. Il se distingue, au milieu d’un tunnel de chômage, par son gisement d’emplois. Il peut s’enorgueillir de 12 milliards d’euros d’excédent commercial, dont on se demande pourquoi il n’est pas fait plus souvent mention. Il apprend à se recentrer sur la qualité, sur les circuits courts, sur l’innovation. Quant à l’image de l’agriculture, elle reste positive, si l’on en croit le succès croissant du tourisme à la ferme. L’été, ça change de la plage, et des loisirs du… troupeau.

*Photo : Francois Hollande.



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est salarié dans le privé, résidant à Paris. Sans appartenance associative ni politique, il se définit comme un citoyen épris de débat.

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