La droite nationale est en opération séduction au Salon de l’agriculture. Ses contempteurs compulsifs peinent à trouver des arguments pour la contrer, et dénoncent une prétendue instrumentalisation politique du syndicat « Coordination rurale ».
On peut évidemment soutenir que le RN ne connaît rien aux problèmes agricoles, qu’il a changé d’avis en permanence, qu’il est « le passager clandestin de la crise » selon l’expression de Gabriel Attal, qu’il a tort d’être hostile à Bruxelles et à la PAC et que sa volonté de décroissance n’est pas exclusive d’une forme de « bêtise », comme l’a affirmé le président de la République lors de sa visite houleuse au Salon de l’agriculture. Bref, qu’il est intolérable que ce parti, avec Jordan Bardella à sa tête, soit largement dominant pour l’instant dans les sondages pour les élections européennes du mois de juin.
Une progression irrésistible
Sans être un spécialiste de l’agriculture, tout en étant persuadé que la cause défendue par les syndicats agricoles est juste tant sur le plan national que par rapport à leur ire européenne, on a le droit de s’interroger. Qui n’a pas changé de position ? La politique européenne est-elle favorable à la croissance ? Les écologistes ont-ils vraiment des leçons à donner ? Jordan Bardella a-t-il été le seul à constituer le Salon comme une opportunité de médiatisation et de selfies ? Je ne crois pas que le président de la République, le Premier ministre, Marie Toussaint ou Robert Ménard soient légitimes dans leurs critiques. Ou ils devraient au moins faire preuve de modestie. Le premier comme le dernier, par exemple, n’ont pas été étrangers à quelques fluctuations.
Mais j’ai bien conscience de m’égarer en laissant entendre que le fond de la question agricole est concerné alors que tous les adversaires du RN ont besoin de la menace qu’il représente pour s’éviter d’avoir à penser et à contredire. Puisque l’essentiel est de stigmatiser une avancée partisane que les apparences montrent quasiment irrésistible.
Comment ne pas percevoir que cette manière de paraître sans cesse battre en brèche le RN pour le pire est paradoxalement, pour lui, une chance qui le met en lumière sinon pour le meilleur, du moins dans la perception qu’il demeure le principal opposant au macronisme, avec une multitude de Français qui sont séduits par lui à proportion de l’hostilité de principe qu’il suscite ?
Attitude contre-productive
Ses contempteurs compulsifs continuent à croire à l’efficacité de leur croisade morale contre lui alors sur beaucoup de registres, notamment parlementaire, il est chaque jour démontré que la pauvreté de leur argumentation politique – j’y inclus la révolte des agriculteurs et des paysans – est la conséquence de cette facilité : croire qu’on répond à l’adversaire en le disqualifiant éthiquement au lieu de le pourfendre sur le fond. Pourtant, autant la première attitude est dilatoire, autant il y aurait de quoi nourrir un débat vigoureux sur l’essentiel qui relève de l’affrontement projet contre projet, approximations et voltes contre une certaine idée constante de l’Union européenne.
Il m’a semblé pour le moins maladroit, de la part du pouvoir et de ses deux têtes, Emmanuel Macron et Gabriel Attal, de détourner l’attention des enjeux graves de la fronde agricole et de son large consensus. Il a cherché à transférer une part de la responsabilité des désordres et des violences sur un certain syndicat qui aurait été instrumentalisé par le RN… Ce détournement au mieux est une digression tactique qui ne convainc personne, au pire la manifestation d’une impuissance. Incapable d’éteindre l’incendie, on accuse un intervenant qui n’en peut mais alors que selon la pertinente définition de Céline Imart (2e sur la liste LR), le président de la République, en l’occurrence, serait plutôt « un pompier pyromane ».
Emmanuel Macron a voulu faire de la fin de sa vie présidentielle un combat acharné contre le RN pour empêcher celui-ci de l’emporter en 2027. J’ai déjà dit pourquoi à mon sens le RN ne gagnera pas mais il est sûr que le président favorise ce qu’il souhaiterait entraver, rend désirable ce qu’il aspire à tuer dans l’œuf et se trouve confronté à cette alternative déprimante pour la conscience qu’il a de lui-même : se taire et espérer, ou dénoncer et déplorer.
Au-delà de lui, ils ont tellement besoin de la menace qu’ils la gardent précieusement.