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Salomon, vous êtes noir?

Gérard Darmon dans une nouvelle polémique liée au "blackface"


Salomon, vous êtes noir?
Mukhammedzhan Kasymov, décoré du titre d'artiste du peuple de l'Union soviétique, joue "Othello" de William Shakespeare, au théâtre de Stalinabad (aujourd'hui Douchanbé), capitale du Tadjikistan, 1955 © Vasily Noskov / Sputnik via AFP

Je ne marcherai plus dans les plaintes des offensés professionnels qui se sentent humiliés par la vue d’un comédien grimé en noir. Je ne peux pas croire que mes compatriotes noirs soient incapables d’apprécier l’humour, le second degré et l’autodérision.


Plus ils braillent et moins j’y crois. Plus ils nous accusent de leur manquer de respect et plus le mot sonne faux et creux, comme en banlieue ou comme dans un film de mafieux. Au début, comme tout le monde, je suis tombé des nues, mais j’y ai cru. J’ai pensé que puisqu’ils se disaient offensés, c’est qu’il devait y avoir offense. La première fois, ça venait des États-Unis. Dans mon souvenir, un type avait mis un sombrero pour une soirée déguisée sur un campus et avait essuyé les reproches de Mexicains qui se disaient insultés, ou en tout cas de ces universitaires bas de gamme qui impressionnent les ploucs à coups de concepts fumeux, ces imbéciles diplômés qui se gargarisent de leur jargon, ceux qui voient mieux que les autres ce qui se cache derrière les apparences, en l’occurrence du suprématisme blanc derrière des blagues et de l’oppression coloniale derrière la liberté de jouer avec les caricatures ou les clichés. On ne rigole pas avec les identités ! Ah bon ? Même dans le monde libre ? Et depuis quand ? Depuis l’arrivée du woke qui renoue avec la grande tradition du maccarthysme, mais par la gauche. On a tous été sidérés, mais il faut bien se rendre à l’évidence, quand on peut perdre son travail pour un mot de travers prononcé il y a vingt ans, c’est que l’Amérique s’est mise à la mode du procès stalinien.

La brigade de la bien-pensance

Et puis c’est arrivé en France. Et à mes compatriotes noirs qui semblent croire qu’ils vivent à Paris ou à Marly-Gomont comme en Alabama en 1960, j’ai accordé le bénéfice du doute. Quand Antoine Griezmann s’est grimé pour une fête costumée en basketteur noir, je me suis dit que tout le monde peut se tromper et se sentir offensé, même les nouveaux inquisiteurs de la nouvelle religion qu’est l’antiracisme woke, qui veut dire éveillé, comme si avant eux et leurs lumières, nous vivions endormis dans l’obscurité, voire dans l’obscurantisme; j’ai pensé qu’il fallait être compréhensif avec ces esclaves imaginaires victimes de leurs fantasmes de ségrégation et de domination, et conciliant avec ces Noirs professionnels qui prennent les discriminations ressenties pour des discriminations réelles et forcément raciales. J’ai voulu les croire sincères dans leur procès contre le footballeur, plus désarmant de candeur qu’armé de mauvaises intentions, qui porte l’innocence sur sa figure, même noircie.

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Ensuite il y a eu la pièce d’Eschyle et ils ont remis ça en mode offensé et offensif quand les nouveaux SA du totalitarisme qui vient si on ne le tue pas dans l’œuf, les brigades et les ligues de défense noire africaine et de lutte contre la négrophobie sont venues en force bousculer des comédiens et interrompre le spectacle. J’ai commencé à avoir des doutes sur la réalité de leurs sentiments et des interrogations sur la possibilité de leurs ressentiments quand on leur a expliqué poliment et patiemment, et qu’ils n’ont pas compris ou ont fait semblant de ne pas comprendre que ce qu’ils prenaient pour des blackfaces, ces caricatures humiliantes de Noirs qui remontaient au XIXe siècle, n’en étaient pas. « Des masques grecs ! » leur a-t-on répété sur tous les tons et comme ils ne voulaient rien savoir, rien de ce que le monde occidental avait été sans eux et avant eux, depuis l’Antiquité jusqu’à l’immigration massive de la fin du XXe siècle, je me suis demandé s’ils étaient malhonnêtes ou malcomprenants.

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Mais avec la troisième tentative d’intimidation autour de cette image fascinante de Gérard Darmon, qui illumine l’actualité d’une vérité réjouissante en nous montrant que la couleur n’est rien d’autre que la surface des choses, j’ai perdu confiance. Cette photo qui nous montre surtout qu’en Othello, l’acteur est un Maure plus vrai que nature, que la personnalité d’un homme et le talent de sa composition peuvent presque nous faire oublier sa race, et que l’on finirait presque, en le regardant bien, par oublier que dans la vie, Darmon est blanc, comme on avait presque fini par oublier, à l’époque où la race n’était pas un sujet et encore moins une obsession, à l’époque si française d’avant l’antiracisme, à l’époque de l’a-racisme, que Yannick Noah était à moitié noir. C’est donc avec cette dernière exigence de repentance et d’excuses que j’ai perdu foi en la bonne foi, la bonne volonté et les bonnes intentions des militants de la différence d’abord.

L’importance du second degré

Avec cette dernière offensive du woke – dernière à l’heure où nous mettons sous presse –, j’ai définitivement cessé d’y croire. Je n’ai pas réussi et pas voulu me résoudre à cette idée mauvaise que mes compatriotes noirs dans leur ensemble puissent être aussi bouchés et aussi mal embouchés que les activistes complexés de l’appropriation culturelle. Je ne peux pas et ne veux pas croire que les Français noirs qui travaillent, élèvent des enfants, s’épanouissent dans des passions joyeuses, qui ont des amis et des amants dont, en bons daltoniens, ils ne voient plus les couleurs, soient des handicapés du second degré. Je ne veux pas croire que ces Français normaux puissent manquer de distance, d’humour et d’intelligence, parce que ceux que je connais, et certains que je ne connais pas non plus, n’en manquent pas, parce que derrière le chanteur Kamini ou le champion de boxe Patrice Quarteron, il y a des milliers de citoyens français noirs adultes. Je ne veux pas, parce que croire que les Noirs de France seraient plus cons et plus susceptibles que moi qui rit de bon cœur quand je revois de Funès en Rabbi Jacob, voilà ce qui serait condescendant, voilà ce qui serait raciste.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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