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Samedi à Auteuil ou la parenthèse exquise

Salomon Malka publie « Samedi prochain à Auteuil, Les leçons de Lévinas » (Le Cerf, 2024)


Samedi à Auteuil ou la parenthèse exquise
Avenue de Versailles, à Paris. DR.

Salomon Malka, journaliste et écrivain, a déjà consacré de nombreux ouvrages à Lévinas. Cette fois-ci, dans Samedi prochain à Auteuil, il tente de retrouver les premières traces de la rencontre avec le Maître lorsqu’il était encore adolescent et qu’il suivait les cours de celui-ci. Ce faisant, il nous offre des moments originels ; réminiscences d’un temps révolu où Auteuil ressemblait à la province…


Savez-vous ce qu’est une péricope ? Rassurez-vous, je l’ignorais jusqu’à aujourd’hui. Une péricope dérive du substantif grec ancien « perikope » qui signifie « découpage », « le terme étant utilisé dans un contexte liturgique pour distinguer un récit constituant une unité littéraire. ». Tous les samedi matin, le narrateur assiste à un cours où le Maître champenois comme il l’appelle se penche sur la péricope du jour. Le maître ? Emmanuel Lévinas, qui donne également des cours de littérature l’après-midi et des cours de philosophie en semaine.

Promenades d’autrefois

Salomon Malka retrouve un journal tenu durant son adolescence et en refait un à partir de ses souvenirs mêlant ses amitiés d’alors, ses amours, ses promenades dans ce quartier provincial du 16ème arrondissement, et, surtout essaie de retrouver l’atmosphère si particulière qui régnait durant les 20 minutes de la péricope, pas une de plus, que le Maître concluait par un trait d’humour, voire un grand éclat de rire.

Le samedi 1er février, « au milieu de toute une séquence sociale qui suit d’ailleurs la lecture des Dix commandements, où il est question de s’éloigner du mensonge, de rejeter la corruption, de ne pas léser l’étranger, on trouve ce commandement visant non pas à privilégier le riche et le puissant mais au contraire à ne pas privilégier le pauvre et l’indigent. » Pourquoi ? Parce qu’« il ne fallait pas expulser le pauvre de la condition humaine. Il ne fallait pas lui ôter sa dignité d’homme, lui réserver une justice particulière, comme s’il n’avait pas droit à la justice de tous. » Le Maître est particulièrement inspiré par ce verset sur lequel il reviendra un autre samedi et que notre justice d’aujourd’hui devrait absolument méditer. « Il dégage l’idée que la compassion n’est pas du domaine de la justice. Ce sont deux ordres qui doivent communiquer entre eux, mais qui sont séparés. Et voilà pourquoi il est demandé à la justice de ne pas se montrer indulgente envers les faibles et impitoyable avec les puissants. »

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Un autre jour, c’est un texte de l’Exode qui est abordé, où il est dit que la faute des pères se poursuit jusqu’à la 3ème ou 4ème génération mais que la bienveillance du créateur s’étend sur mille. « La disgrâce ne vaut que pour trois ou quatre générations, soit le temps d’une vie d’homme qui peut agir, dans le meilleur des cas, sur des enfants, des petits-enfants et à la rigueur sur des arrière-petits-enfants. Il (cet homme) peut faire rayonner son exemple sur tout cet arc, en revendiquer la charge, et en porter une part de responsabilité. Mais la grâce, elle, est infinie. Elle s’étend sur mille ans. C’est-à-dire qu’au fond, elle est éternelle. Le bien fait à son prochain ne connaît pas de limite. Le mal qui est fait retentit sur la descendance. »

C’est l’absolue prééminence de l’éthique qui caractérise la pensée d’Emmanuel Lévinas qu’on retrouve chaque samedi, éthique qui ne se distingue pas, comme on a trop voulu le faire croire, de la sainteté. Dernière péricope qui la concerne, introduite par la lecture de l’élève : « Vois, j’ai désigné nommément Betzalel, fils d’Ouri, fils de Hour, de la tribu de Juda, et je l’ai rempli d’une inspiration divine, de sagesse, d’intelligence, de connaissance… » Et chacune de ces expressions donne lieu au commentaire suivant : « La sagesse ; ce qu’un homme entend des autres et apprend. L’intelligence ; ce qu’un homme comprend de lui-même à partir des choses qu’il a apprises. La connaissance ; l’esprit saint.

Commentaires de commentaires…

Le maître incarne les propos qu’il tient. Le narrateur nous dit qu’il commente toujours le commentaire de son maître à lui, qu’il témoigne ainsi de la transmission qui fait la génération. Et quant à l’auteur du livre qui nous restitue ces moments précieux, son écriture témoigne d’une rare simplicité, s’inspirant sans doute de ce qu’il dit de celle de la Bible et, notamment, du début de l’histoire de Job : « Ce n’est jamais pompeux, jamais lourd. Ce sont des phrases assez simples, avec un sujet, un verbe et un complément, sans toute cette part de finesse et de fausse élégance que donne quelquefois la littérature. Il faut écrire comme la Bible. »

Et c’est ainsi, que de samedi en samedi, de péricope en péricope, nous suivons avec Salomon Malka le cours du petit homme rond et jovial, entre deux considérations sur le quartier, ses bâtiments, les noms de ses rues, et les souvenirs aussi, pour finir, d’autres personnes comme Jean d’Ormesson et Robert Hossein, pour lesquels la Bible fut le socle fondamental.

Samedi prochain à Auteuil. Les leçons de Lévinas, 204 pages.

Samedi prochain à Auteuil: Les leçons de Levinas

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Professeur de lettres modernes à la retraite, ayant enseigné dans le 93.

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