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Salman Rushdie : son destin individuel est le symbole de notre destin collectif

L’islamisme n’a rien à envier au nazisme en termes de refus de l’égalité des hommes


Salman Rushdie : son destin individuel est le symbole de notre destin collectif
Manifestation du hezbollah contre S. Rushdie, Liban, 19 février 1993

La tentative d’assassinat de Salman Rushdie montre combien l’influence des extrémistes islamistes reste forte et nous rappelle que tous les citoyens, musulmans compris, doivent se positionner résolument contre cette influence.

A l’heure où j’écris ces lignes, Salman Rushdie paraît avoir survécu à l’attentat dont il a été la victime. Mais les nouvelles restent rares et l’inquiétude demeure. On ne peut que continuer à espérer que, non seulement Salman Rushdie survive, mais surtout qu’il continue à écrire, créer et vivre, en homme libre et indépendant. Exactement ce que les islamistes, et les fanatiques qui exécutent leurs fatwas, refusent d’accorder à tous les hommes. Voilà pourquoi le destin de Salman Rushdie est devenu essentiel pour notre avenir collectif. Il est en effet le symbole de la résistance à une réislamisation qui se propage selon une logique fasciste et rencontre, hélas, peu d’opposition dans le monde musulman.

« C’est très bien de rappeler que la plupart des musulmans ne sont pas des extrémistes. Il était également vrai que la plupart des Russes n’étaient pas des partisans du Goulag ou que la plupart des Allemands n’étaient pas des nazis. Pourtant, l’Union soviétique et l’Allemagne hitlérienne ont bien existé. Ainsi, lorsqu’une déviance grandit à l’intérieur d’un système, elle peut le dévorer, et tel est ce qui se passe avec le fondamentalisme en islam. Je me souviens d’ailleurs que, quand j’ai commencé à être la cible des attaques des islamistes, quelques journalistes américains de gauche avaient apporté leur soutien à l’imam Khomeini parce que il luttait contre le pouvoir hégémonique de l’Ouest. Le présupposé constant de la gauche, c’est que le monde occidental est mauvais. » Voilà ce que disait l’écrivain britannique en 2017. Il n’y a hélas rien à changer à ce triste constat.

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Que tous les musulmans ne soient pas des islamistes est vrai, mais il ne faut pas pour autant nier le fait que l’influence du fascisme islamiste soit importante en terre d’islam et tout aussi importante dans les communautés musulmanes en Occident. Les islamistes ne sont pas une infime minorité, ce sont eux, au contraire aujourd’hui qui ont le plus d’influence dans le monde arabe. ils imposent leur idéologie, leurs codes et leurs marqueurs et marginalisent les tenants d’un islam des Lumières, qui sont considérés comme peu représentatifs de leurs concitoyens arabo-musulmans.  On peut le constater face à l’attentat qui a failli tuer Salman Rushdie. Le silence du monde arabe est assourdissant, quand la rue ne fête pas la tentative d’égorgement d’un homme considéré comme un blasphémateur et un apostat. Il faut dire que la Fatwa qui le frappait démontrait déjà la montée de l’emprise du fascisme islamiste en 1989. Selon l’anthropologue Jeanne Favret-Saada, non seulement cette condamnation à mort n’était pas légitime au regard du droit islamique, mais prononcé de surcroît par une autorité chiite, elle eut dû rester anecdotique. Or ce n’est pas ce qui s’est passé. Au contraire, elle a été acceptée, validée et relayée par tous les islamistes, quelle que soit leur obédience et même au-delà de leurs rangs. Cela témoignait d’une identité de vues qui dépassait les clivages religieux et nationaux. Il faut dire que l’ayatollah Khomeini s’est inspiré de la doctrine des Frères musulmans pour prendre le pouvoir. Tous les éléments de langage du mouvement islamiste iranien reprennent les représentations, les concepts et le vocabulaire des frères musulmans. La fatwa de Khomeini est donc devenue un ordre qui s’adressait à la communauté musulmane dans son ensemble et qui n’a jamais été dénoncée ni combattue par une des autorités reconnues censées représenter les musulmans. Et cela continue aujourd’hui.

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Certes des voix individuelles s’élèvent contre la tentative de meurtre de Salman Rushdie. En France c’est le cas d’Hassan Chalghoumi, l’imam de Drancy. Mais l’homme est seul à poser cet acte d’humanité, de dignité et de courage. Les soi-disant représentants d’un islam dit modéré, eux, se taisent. Tarek Oubrou, qui aurait soi-disant rompu avec les Frères musulmans, se distingue par son silence. Il n’avait pas eu les mêmes pudeurs de gazelle pour prendre la défense de l’islamiste Iquioussen. Ghaleb Bencheikh est aux abonnés absents, le recteur de la Grande mosquée de Paris se fait aussi remarquer par sa discrétion. Mais c’est aussi le cas d’organisations dans lesquelles l’influence des islamistes grandit. La ligue des droits de l’homme se distingue également par son absence totale de réaction.

Il faut dire qu’il est toujours de bon ton de prétendre que les islamistes sont des marginaux, même si la réalité et les études menées démontrent le contraire. C’est le seul moyen de justifier le clientélisme électoral et la mollesse de la réaction des politiques face à la montée de cet authentique fascisme. Mais cela parle aussi du désarroi des politiques : que faire quand une idéologie violente et identitaire ne suscite pas de rejet dans un groupe religieux car elle s’appuie sur des représentations culturelles partagées. Refuser l’égalité en droit, au nom du sexe par exemple, est choquant dans des démocraties qui ont construit leurs sociétés politiques sur la reconnaissance du partage chez les individus de la même dignité humaine et en ont tiré les conséquences en terme de droits politiques. En revanche, pour nombre de musulmans pour qui le droit découle du coran, les inégalités que prône et justifie la charria sont normales. Et ils résolvent souvent le conflit de loyauté en choisissant l’islam. 

La question de la compatibilité de l’islam avec les sociétés démocratiques se pose donc réellement. Des personnes comme Hassen Chalghoumi ou nombre de musulmans que je connais sont la preuve que vivre sa foi sans attaquer les fondamentaux des sociétés démocratiques occidentales est possible. Néanmoins, force est de constater que ces gens-là sont vus comme marginaux, voire considérés comme de « mauvais musulmans ». Souvent les pouvoirs publics ont préféré honorer les Tariq Ramadan, Tarek Oubrou et autres Ghaleb Bencheikh (qui sont incapables aujourd’hui de condamner fermement la tentative de meurtre contre Salman Rushdie), plutôt que valoriser des personnes comme l’imam Chalghoumi ou apporter leur protection claire et nette aux apostats de l’islam.

En France, l’influence des islamistes a été mesurée dans nombre d’études : celles de l’Institut Montaigne de 2016, les études de Anne Muxel et Olivier Galland sur la tentation radicale, l’étude de l’Ifop pour Charlie Hebdo en 2020 ou la LICRA en 2021 ou encore celle de la Fondapol portant sur l’antisemitisme (2022). Sur cette dernière étude, les répondants de confession musulmane témoignent d’une adhésion aux clichés antisémites au-dessus des 50%. Soit souvent une vingtaine de points d’écart avec l’extreme-droite RN et l’extrême gauche LFI. Lesquelles sont au même niveau l’une par rapport à l’autre même si l’on peut noter que l’adhésion aux clichés antisémites concerne plutôt 30% de leurs adhérents que 50%. Pourtant, il reste de bon ton de nier l’importance de l’antisémitisme arabo-musulman en France. Mais dès 2016, certains chiffres auraient déjà dû alerter les pouvoirs publics. Le rapport de l’institut Montaigne indiquait en effet que 28% des sondés défendaient un islam identitaire et agressif, refusant la civilité et les lois françaises et que 25% manifestaient un fort attachement à la charria et revendiquaient les normes séparatistes, notamment la norme halal, le port du voile… Seuls 46% revendiquaient un système de valeurs en adéquation avec la société française. C’était moins de la moitié des sondés…

Dans la sphère publique et politique les manifestations du refus de l’égalité homme/femme, de la liberté d’expression et de conscience, les manifestations de séparatisme et la justification de la violence se multiplient : multiplication des voiles, refus de la civilité occidentale, tentative de ré-instaurer l’interdiction du blasphème par la violence (Charlie, Samuel Paty, affaire Mila…), contestation de la Shoah et de nombreux enseignements historiques, appel à la haine contre les kouffars, les apostats, montée en puissance des Frères musulmans via l’UOIF rebaptisée Musulmans de France, formation des imams (Saint-Denis, Château-Chinon) aux mains des islamistes, noyautage de certains partis et organisations (Ligue des droits de l’homme, Ligue de l’enseignement, Planning familial), volonté de séparatisme en créant une société du halal où la nécessité de se distinguer des mécréants ne s’arrête pas à la question de la nourriture (mode pudique, mariage et voyage halal…).

L’islamisme n’a rien à envier au nazisme en termes de refus de reconnaître l’égalité des hommes et de garantir leurs libertés.

Sur la question de la religion, les écarts entre Français musulmans et le reste de la population sont très importants. Des sondages IFOP l’ont mesuré. En 2020 par exemple, si 75 % des Français dans leur ensemble se déclarent favorables à « laisser aux enseignants le droit de montrer à leurs élèves des dessins caricaturant ou se moquant des personnages religieux afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », ils sont seulement 36 % chez ceux de confession musulmane. Les dissolutions des associations islamistes BarakaCity et CCIF, approuvées par une forte majorité de la population (76% et 65%), sont rejetées par deux tiers des sondés de confession musulmane. On retrouve les mêmes écarts sur le port du voile. La jeunesse de confession musulmane témoigne d’une très forte radicalité, et constitue la cible prioritaire des islamistes, ce qui est une des preuves de l’importance de leur influence. En 2021, 65% des lycéens musulmans plaçaient l’islam au-dessus des lois de la République..

Bref, il y a un travail à faire du côté des musulmans pour bien se distinguer des islamistes. Or force est de constater que même des musulmans qui n’ont rien d’islamiste ont du mal à se positionner clairement car ils sont paralysés dès qu’il est question d’islam. Pris dans un conflit de loyauté, ils choisissent souvent le silence oubliant que, qui ne dit mot consent. Beaucoup ne sont pas clairs sur le voile, sur le blasphème, sur la question des apostats… Ils refusent l’usage de la violence mais sont souvent ambigus quand il s’agit de prendre parti face à l’idéologie politico-religieuse qui la prône et la justifie. Le fait que nous n’ayons aucune exigence en matière d’intégration et d’assimilation, que l’acquisition de la nationalité française est vue comme un droit et non comme l’entrée dans la communauté nationale, favorise un positionnement délétère. A un moment il faut choisir. Accepte-t-on l’égalité et les libertés publiques ou choisit-on un islam qui refuse l’égalité, considère les autres religions comme fausses et à soumettre, refuse la liberté de conscience et d’expression ? Un pays n’est pas qu’un territoire, c’est un idéal et un système de principes, de valeurs et de représentations. Reposer clairement cette exigence serait libérateur.

Bref, il faut regarder en face ce décrochage qui est en train de montrer que l’influence des islamistes est grande et que leur ambition de ré-islamisation fonctionne. Or, leur démarche est politique. Leur ré-islamisation n’a rien de spirituelle, puisqu’elle vise avant tout à empêcher toute intégration citoyenne au nom de l’intégrité religieuse. Face à cette montée de revendications identitaires et totalitaires, il faut arrêter de prôner une fausse tolérance qui n’est qu’une excuse pour doter la lâcheté d’une apparence de vertu. L’islamisme n’a rien à envier au nazisme en termes de refus de reconnaître l’égalité des hommes et de garantir leurs libertés. La tentative de meurtre de Salman Rushdie nous le rappelle. Refuser de réagir n’est pas faire preuve de mesure mais ne fait que renforcer le séparatisme qui se met en place dans nos sociétés. Pour le plus grand malheur de tous.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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