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Salman Rushdie, emmerdeur planétaire


Salman Rushdie, emmerdeur planétaire

Joseph Anton, dont Salman Rushdie décrit l’existence depuis le 14 février 1989 jusqu’à nos jours, est le pseudonyme de ce même Salman Rushdie. C’était un nom de code que les services de sécurité britannique lui avaient demandé de choisir pour déjouer les manœuvres des assassins lancé à ses trousses après la fatwa de l’ayatollah Khomeiny le condamnant à mort pour blasphème et apostasie. Joseph, comme Conrad et Anton, comme Tchékhov, deux des auteurs préférés de Rushdie, sujet britannique d’origine indienne, issu d’une famille de la bourgeoisie musulmane de Bombay. Cet auteur à succès, lauréat du prestigieux Bookers Prize, le Goncourt britannique, traduit dans de nombreux pays, accéda à la célébrité mondiale, y compris auprès de gens n’ayant jamais lu une ligne de ses œuvres, le jour où l’ayatollah Khomeiny rédigea, alors qu’il était au seuil de la mort, la fameuse fatwa enjoignant les fidèles à tuer cet écrivain coupable, selon lui, d’avoir insulté le Prophète dans son dernier roman, Les Versets Sataniques. Cette fatwa fut rendue publique le 14 février 1989, le jour de la Saint-Valentin, alors que le mariage de Salman Rushdie avec sa seconde épouse, l’écrivaine Marianne Wiggins battait quelque peu de l’aile…

Sur plus de 600 pages, Rushdie nous raconte la vie de ce Joseph Anton, qui est resté pendant treize ans sous surveillance policière vingt-quatre heure sur vingt-quatre, errant d’abord d’une maison d’ami à une autre, puis finissant par acquérir un logement à Londres, qu’il partage avec sa troisième épouse, Elisabeth West, et les équipes de la « Special Branch » de Scotland yard, deux policiers qui se relaient pour veiller sur lui en continu. Le Joseph Anton que nous décrit Salman Rushdie est loin d’être totalement sympathique. Foncièrement égocentrique – mais est-ce bien étonnant pour un écrivain ? – il est passablement odieux avec ses proches, notamment ses épouses successives, vaniteux comme un paon, pratiquant avec délice le name dropping de toutes les célébrités avec lesquelles sa notoriété planétaire lui permet d’entrer en contact. Il se révèle même carrément goujat lorsqu’il évoque sans détour une coucherie induite par une consommation exagérée d’alcool avec Caroline Lang, la fille du ministre français de la culture, dont il ne prend même pas la peine de cacher l’identité.

Cette prise de distance que Rushdie nous invite à prendre avec sa personne nous permet d’autant mieux de lire cet ouvrage pour ce qu’il est : un livre politique de part en part, qui nous en apprend plus sur la Weltpolitik de la fin du siècle dernier que les doctes dissertations des géopoliticiens universitaires où les Mémoires narcissiques des grands de ce monde. Est-ce l’effet du hasard si la vie recluse de Joseph Anton commence quelque mois avant la chute du Mur de Berlin, pour s’achever au lendemain de l’attaque contre les tours jumelles de New York et le Pentagone de Washington le 11 septembre 2001 ? Alors que l’Occident et son chef de file Ronald Reagan étaient tout entier absorbé par sa « lutte finale » contre l’Empire soviétique, un écrivain gauchiste mondain de la Grande Bretagne de Margaret Thatcher était pris pour cible par une force montante, celle des islamistes radicaux que l’on cajolait, car ils étaient utiles pour porter des coups à ces salauds de communistes, en Afghanistan et ailleurs. « Quelque chose de nouveau était en train d’arriver », écrit Rushdie dans son livre, « cela se répandait à la surface de la terre, mais personne ne voulait le savoir. Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : islamophobie ».

C’est peu dire que « l’affaire Rushdie » ne faisait pas celle ceux qui, à gauche comme à droite, estimaient qu’il ne fallait pas chatouiller les moustaches du tigre islamique, que ce soit au nom de la realpolitik pour les premiers, ou par exotisme révolutionnaire pour les second. La « dame de fer » se révéla bien timorée – jamais elle ne reçut Salman Rushdie au 10, Downing Street, et Ronald Reagan ne prononça jamais son nom en public. La presse tabloïd britannique de Rupert Murdoch tirait à boulets rouges sur ce bourgeois de la littérature, dont la protection coûtait une fortune au contribuable après avoir écrit des bêtises sous le couvert de la liberté d’expression. Ses amis de la gauche intellectuelle, à de rares exceptions près, comme Nadine Gordimer, Susan Sontag, ou Harold Pinter, se désolidarisent de lui. Je ne résiste pas à la tentation de citer les lignes écrites dans le Guardian, fin février 1989, par John Berger, mon voisin des alpages haut savoyards, qui s’affiche chaque année au plateau des Glières aux côtés de Stéphane Hessel comme figure de proue des « résistants d’hier et d’aujourd’hui », ceux qui considèrent que Nicolas Sarkozy est plus nuisible au genre humain que Mahmoud Ahmadinejad : « Je suggère que Salman Rushdie, s’il n’est pas captif d’une chaîne d’événements dont il a perdu le contrôle, demande à ses éditeurs dans le monde entier de mettre d’arrêter la vente des « Versets Sataniques » et de renoncer à toute réédition. Non pas cause des menaces pesant sur sa vie, mais pour protéger celle d’innocents n’ayant ni écrit ni lu ce livre. Si cela est accompli, il est probable que nombre de dirigeants et hommes d’Etat musulmans seraient prêts à condamner les pratiques d’un ayatollah terroriste édictant des sentences de mort. Sinon, nous risquons de voir éclater la première guerre sainte du 21ème siècle, avec la terrifiante bonne conscience de chaque côté. Elle surviendra, de manière sporadique ou continue dans les aéroports, les centre ville, les banlieues, partout où les gens ne sont pas protégés.  »
L’ombre gigantesque de Winston Churchill nous cachait une partie de la réalité : l’héritage de sir Neville Chamberlain, l’artisan des accords de Munich, point d’orgue de la politique d’appeasement face au Reich hitlérien se porte à merveille !

Au fil des pages, on découvre toutes les petites lâchetés et les grands renoncements dont se rendent coupables ceux qui tiennent le haut du pavé politique et éditorial. Salman Rushdie, qui a en plus le culot de refuser de se faire oublier, prétend continuer à écrire et à publier malgré l’existence qu’il est contraint de mener. Rares sont ceux qui se sortent honorablement de cette sale affaire : Bill Clinton, Günter Grass par exemple. En France, sa défense a rassemblé des gens qui se détestaient, comme Bernard-Henri Lévy et Jacques Derrida. François Mitterrand s’est prudemment tenu à l’écart de cette affaire déléguant à Jack Lang (et à sa fille…) le soin de représenter la patrie des droits de l’homme. La fatwa visant Rushdie n’a pas été annulée. La fondation iranienne qui la soutient vient même de porter à 3,3 millions de dollars la prime promise à celui qui fera passer l’écrivain de vie à trépas, dans la foulée de la crise déclenchée par la manipulation islamiste de la diffusion, sur Youtube, des images d’un pseudo film insultant le prophète. Rushdie s’en fiche, il vit à visage découvert à New York depuis plus de dix ans, voyage dans le monde entier, prouvant par sa seule existence que les mollahs sont nus.

*image : futureshape/Flickr



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