Aux Pays-Bas, on assiste à une vaste querelle linguistique autour de l’usage du mot « blank » (blanc).
La langue d’un pays doit-elle se plier aux exigences d’une poignée d’activistes woke qui souvent n’y sont même pas nés ? Non, dira-t-on. Problème : ce bruyant lobby woke, bien introduit dans les médias, les milieux culturels et la classe politique, ne s’arrête pas de répandre sa doxa, non sans rendement. Dernièrement, les idéologues progressistes partent en croisade contre l’emploi du mot “blank”, soi-disant contaminé par le colonialisme et le racisme. Devant “l’urgence” de la situation, il semble donc nécessaire de le remplacer. “Wit”, plus neutre, est idéal, car dépourvu du sens de supériorité raciale envers les colonisés d’antan.
Les médias néerlandais collaborent avec le lobby woke
Presque tous les journaux, magazines, chaînes de radio et de télévision, sites d’information et agences de presse néerlandaises, se sont lancés avec efficacité dans la collaboration. Dans leurs colonnes et pendant leurs temps d’antenne, “blank” a lentement, mais sûrement, cédé sa place à “wit”. Néanmoins, une résistance persiste. Le journal De Telegraaf et le magazine EW, tous deux libéraux-conservateurs, bénéficiant de tirages que jalousent leurs confrères, tiennent bon. Mais les rebelles se comptent maintenant sur les doigts d’une main… S’il ne s’agit tout de même pas d’un diktat en faveur du “wit”, les journalistes, rédacteurs, reporters, correspondants et pigistes savent à quoi s’en tenir, sous peine de voir leur copie soumise aux remontrances du lobby woke. « Notre journal s’oppose bien sûr à toute forme de racisme, » a affirmé le directeur du Telegraaf, récemment. « Mais, nous refusons l’agenda radical et racial de la politique d’identité », a-t-il précisé. Pour De Telegraaf, son directeur reste donc un homme blanc, et non pas “wit”.
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Ainsi, le choix du vocabulaire peut-il trahir les sensibilités politiques de votre interlocuteur. Et qu’importe ce choix, il fait automatiquement couler de l’encre. Si De Telegraaf utilise le mot “wit”, se trahissant ainsi au “wokement correct”, un lecteur pourrait être tenté de le traiter de “collabo” avec les « anti-Blancs ». Tandis qu’un journal qui s’en tient à “blank” peut se voir taxé de l’affreux suprémacisme blanc. Car oui, sachez que le mot maudit reste utilisable aux Pays-Bas, mais uniquement pour qualifier celui censé inspirer l’horreur à tout un chacun, le raciste blanc.
Wokeland
Dans son livre, Wokeland, le journaliste néerlandais Coen de Jong retrace le succès incontestable du lobby anticolonialiste qui, encore hier, était moqué par les mêmes médias aujourd’hui acquis à sa cause.
Wokeland détaille le patient travail de sape de ces activistes, pratiquement tous d’origine surinamoise ou antillaise, pour rallier les élites à leur cause. Les dirigeants de l’audiovisuel public néerlandais, très à gauche, sont les trophées les plus notables inscrits à leur tableau de chasse. Les politiciens de la droite dure, qui les envoyaient promener, tels Geert Wilders et Thierry Baudet, se trouvent aujourd’hui en dehors des circuits du pouvoir et même du système. Système où l’on préfère à présent laisser ânonner les pseudo-linguistes selon lesquels “blank” ne désigne pas vraiment une couleur, mais surtout une notion de pureté esthétique contraire à son opposé “zwart” (noir), avec son lot de consonances péjoratives.
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Un canular jugé raciste, lors du nouvel an à Rotterdam, vient de renforcer le camp des pourfendeurs du mot “blank”. À l’approche de minuit, une foule joyeuse était rassemblée sur le pont Erasmus, sur lequel un faisceau lumineux projetait des slogans, tels « Een Vrolijk Blank 2023! », « Joyeux 2023 Blanc! », ou encore « White Lives Matter! » Pour couronner le tout, le message scandaleux est apparu en plein direct, sur la chaîne privée RTL, qui avait abandonné « blank » depuis bien longtemps déjà. Un beau scandale, donc, dans une ville où un peu plus de la moitié des habitants est issue de l’immigration extra-européenne, comme on dit pudiquement. Un mois plus tard, la police est toujours à la recherche de ceux qui ont osé moquer l’idéal officiel du vivre-ensemble. Le Parquet de Rotterdam entend les poursuivre pour incitation à la haine raciale. Bouillonnant d’indignation, le directeur du journal protestant et hyper woke, Trouw, a annoncé à ses lecteurs qu’après l’humiliation de Rotterdam, “blank” s’était définitivement enraciné dans le vocabulaire de l’extrême droite raciste ! Désormais, le mot n’aura plus sa place dans son journal. Pas sûr que ces abonnés et contributeurs fidèles, souvent âgés, apprécient les futures corrections et cette bonne résolution pour 2023. Ces génuflexions des directions des journaux répugnent évidemment les chroniqueurs conservateurs, certains étant encore tolérés dans des journaux de gauche comme Trouw et De Volkskrant. L’un d’eux regrette que son journal « ait cédé aux brigades des censeurs d’extrême gauche ». Un autre conteste le bien-fondé de la mise au ban de “blank”, non approuvée d’ailleurs par le dictionnaire Van Dale qui fait autorité dans le pays, et qui ne s’y plie pas. Tous ces résistants grisonnants savent cependant que les jeunes journalistes ne les suivront pas. Même si le combat des “vieux” est perdu d’avance, ceux-ci n’y voient pas une raison de se rendre.