Ces temps-ci, le peuple a les oreilles qui sifflent. Si l’actualité s’acharne souvent sur quelques éléments perturbateurs, aujourd’hui c’est toute la classe qu’on réprimande. Malgré les moyens impressionnants mis en œuvre pour son éducation, on ne peut pas dire que le peuple se montre à la hauteur de la démocratie qu’on lui offre. Quand il donne, il se montre homophobe et quand il vote, il se révèle raciste.
Pierre Bergé l’a dit, c’est un scandale, c’est du populisme. Il y a de quoi être en colère. Par l’effet d’un racolage facile, le Téléthon rapporte dix fois plus que le Sidaction. Populisme ? Et si la raison de cette honteuse préférence (autre nom de la discrimination) était que des années d’Act’Up (entre autres) ont ancré dans la tête du bon peuple l’idée que le sida c’est la maladie des homos et des toxicos ? Peut-être la France profonde des foules sentimentales qui donne librement et anonymement préfère-t-elle aider les rares enfants myopathes que les baiseurs qui ne mettent pas de capote et les drogués qui font tourner leur seringue. Les familles modèle « papa-maman » qui fournissent la plus grande partie des dons se laissent plus facilement émouvoir par des enfants en fauteuils roulants avec leur nounours que par deux mecs qui se roulent une pelle. Et pour les responsables du Sidaction, c’est un problème.
Je suis passé récemment dans la rue devant un stand de l’association AIDES. Des jeunes gens faisaient appel à la générosité des passants et sur les murs de leur cabane, on pouvait voir ou plutôt on ne pouvait pas ne pas voir une affiche représentant deux hommes nus, beaux comme des footballeurs, allongés l’un sur l’autre, tendrement enlacés. Je dois l’avouer, j’aime le sexe entre les sexes mais ce spectacle-là, je préfère ne pas le voir. Je sais, c’est une phobie, quand j’aurai le temps, j’irai me faire soigner, en attendant je détourne le regard. La liberté règne pour tous dans les chambres à coucher et je m’en réjouis. Ce que je fais dans l’intimité avec mon amoureuse en dégoûte peut être certains et certaines et je le comprends. Voilà pourquoi, si j’avais besoin de faire appel à la générosité publique, à part pour des dons de vêtements, j’éviterais de m’afficher dans la rue, nu et en train de baiser.
Après des années de lutte contre le sida, on fait encore appel à notre générosité en nous montrant des hommes en pleins préliminaires. Au point qu’on finit par avoir l’impression qu’il s’agit de campagnes jumelées de lutte contre la maladie et de promotion de l’homosexualité. Après des années de luttes agressives, de distributions de capotes jusque devant les églises, d’invectives et d’accusation de non-assistance à personnes en danger, le plouc père de famille en province, vexé comme un imam à qui on refuse un minaret, ne donne pas assez pour le Sidaction. Quand on l’interpelle à travers sa télé, il fait comme moi l’autre jour, il détourne le regard. Et Pierre Bergé s’en étonne ?
L’Etat finance 70 % de la recherche médicale et les dons privés, 30%. Les deux tiers des sommes sont donc affectées selon les besoins de la recherche sur décisions ministérielles disons, réfléchies et responsables. Pour le tiers restant c’est le cœur des foules qui parle et pour Pierre Bergé, il ne bat pas assez pour les malades du sida.
Deux tiers de solidarité imposée, un tiers librement consentie mais ce tiers-là est encore de trop. Cruelle réalité mais qui n’est pas de taille à arrêter un progressiste. Ecartons le peuple ! La liberté de choix des donateurs produit de la discrimination. Supprimons la ! La solution est simple, il faut mutualiser. Un pot commun à tous les dons et puis quoi ? Un komintern qui redistribue ? Pierre Bergé nous a confié qu’il était myopathe, il est aussi allergique au populisme et socialiste et ce n’est pas le moindre de ses handicaps.
Mais nous, Français, ne sommes pas les plus à blâmer pour nos choix malheureux. Malgré les consignes pourtant claires venues des plus hautes sphères de la société, dimanche en Suisse, ce sont, selon les commentateurs, les plus bas instincts qui ont parlés. Le plus coupable étant ce parti à l’initiative du référendum qui les a réveillés. Les voix s’élèvent partout pour coller à l’UDC l’étiquette infamante de droite populiste.
Doit-on comprendre que les partis responsables, honorables et dignes de gouverner car purs de tout populisme, sont ceux qui montrent la voie, guident le peuple sur le chemin du progrès et des valeurs morales mais décident à sa place, à son insu ou contre son gré ? Doit-on en déduire qu’à l’inverse, les partis populistes sont ceux qui se contentent d’écouter les demandes, de donner la parole et de se soumettre aux résultats ?
Je ne reviendrai pas ici sur le symbole à peine voilé que représente le minaret. Il est habituel qu’en pays conquis ou sur une terre vierge, on érige un étendard mais les musulmans suisses sont allés un peu vite en besogne car il y a dans ces montagnes des gens qui ont autant envie de laisser l’islam dépasser les toits et les bornes que de tomber dans une crevasse. Et ces Suisses-là font mentir ce cher Philippe Muray : ils ne sont pas les plus morts.
J’en suis heureux d’abord pour la Suisse et pour l’Europe mais aussi égoïstement pour le touriste français que je suis. Quand je voyage, ce que j’aime, ce sont les frontières, l’exotisme, le typique. Si je vais faire un tour chez les Helvètes, je veux voir des banques, des alpages et avec de la chance, l’edelweiss ou même Heidi mais pas de minarets. En Angleterre, je veux des chapeaux melons même sur les musulmans et des bottes de cuir sur les filles, pas des burqas et en Belgique, des frites et des moules, pas des madrasas. Si je veux voir la Mosquée bleue, je pousse jusqu’en Turquie car j’aime que les choses soient bien rangées. Je suis donc heureux que les paysages suisses soient encore dessinés par les Suisses. Enfin ceux qui sont victimes des sirènes du populisme.
Un torrent d’insultes et de mépris international a déjà salué ce vote salutaire, les Verts parlent de le remettre en cause en appelant l’Europe à l’aide. Le monde somme les Suisses d’avoir honte, les élites leur répètent que la démocratie ce n’est pas fait pour ça. Sur France inter, Jean-Marc Four déclare sans rire : « Le résultat de ce vote est une insulte à la démocratie directe. » Je me demande si ce genre d’âneries fait sursauter beaucoup de monde.
Dans les démocraties où on hésite à soumettre au référendum les questions les plus préoccupantes, la majorité silencieuse a souvent le sentiment de vivre sous le règne du « Cause toujours ». Je conseille à nos amis suisses les plus populistes de répondre aux réprobations de l’élite internationale par un silencieux et déterminé : « Cause toujours ! »
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