L’étaient-elles toutes, folles de Jean Reinhardt, dit Django, les femmes qu’il croisa et qui, pour certaines, accompagnèrent sa vie ? Assurément. Trois d’entre elles, en tout cas, qu’ Alexis Salatko transforme en manières d’anges gardiens en leur donnant des noms de symphonies : Maggie l’Héroïque, Jenny la Pathétique et Dinah la Fantastique. Trois femmes folles de jazz, folles de Django qui ont, tout de suite, cru en lui, et l’ont accompagné – porté, parfois – au cours de sa magnifique carrière artistique.
C’est notamment cette carrière artistique que nous conte Alexis Salatko, auteur d’une quinzaine de romans et biographies salués par la critique et récompensés par de nombreux prix. Django Reinhardt : toute une histoire… Pourtant, comme le souligne l’éditeur, « rien ne prédisposait ce gamin né en 1910 dans une roulotte au lieu-dit La Mare aux Corbeaux, près de Charleroi, à devenir le roi du swing. Rien si ce n’est ce caractère hors norme, instinctif, enfantin, capricieux, inspiré… En un mot génial. »
Génial. Le mot est lâché. Car il l’est, génial, Django! À 12 ans à peine, sa virtuosité impressionne les spectateurs dans les cafés de Paris. Son premier disque, il l’enregistre à 18 ans bien qu’il ne sache ni lire ni écrire. Il est donc bien incapable de déchiffrer une partition. Qu’importe !
Alors qu’il est sur le point de jouer à Londres, un drame survient dans sa vie : sa roulotte est ravagée par un incendie. Django et sa femme sont grièvement brûlés. Deux doigts de sa main gauche – celle qui courait sur le manche de la guitare – ne pourront être sauvés. On lui annonce qu’il ne pourra certainement plus jouer. C’est mal connaître le bougre. Hospitalisé pendant dix-huit mois, il en profite pour développer une technique instrumentale unique en son genre. Et transforme son handicap en singularité aux époustouflantes possibilités. Sa rencontre avec le violoniste Stéphane Grappelli sera des plus fécondes. Ils créeront une musique novatrice, sensuelle et jouissive qui les propulsera vers d’incroyables succès. La guerre terminée, Django entreprendra une grande tournée aux USA, au côté de Duke Ellington.
C’est cette histoire que nous conte par le menu Alexis Salatko. Le génie du musicien correspond très bien à l’immense talent de l’écrivain Salatko qui se love dans le parcours du guitariste avec une grâce et une habilité quasi féline. Il s’en donne à coeur-joie. Lorsqu’il décrit les prouesses d’accompagnateur hors pair de Django, il le qualifie d’extralucide : « Il devinait quel genre de musique ils avaient dans le ventre et jouait les obstétriciens. Comme un tennisman, il anticipait les retours et forçait ses compères à être inventifs. Il rebondissait sans cesse, relançait inlassablement, raison pour laquelle ses concerts pouvaient durer des heures, des nuits entières jusqu’à épuisement total du public et des participants. »
Il rappelle qu’il jouait collectif : « Il était tantôt incisif pour secouer la torpeur du groupe, tantôt mélancolique en diable, capable d’arabesques d’une exquise suavité. Ce qui frappait tous les membres de son orchestre, c’était sa puissance et sa délicatesse. Les deux n’étaient pas incompatibles. Il pouvait charger comme un rhinocéros avec la grâce d’une libellule. »
Nul doute que Salatko ferait un excellent critique musical. C’est en tout cas un très bon romancier car ce portrait de Django nous prend et ne nous lâche plus. Du grand art. Django Salatko nous conduit dans les nuages du plaisir de lecture.
Folles de Django, Alexis Salatko. Robert Laffont, 2013.
*Photo: ERIC DESSONS/JDD/SIPA.00645245_000008.
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