Certains voient dans l’annulation de la venue de l’activiste politique franco-palestinien une censure injuste, quand d’autres craignaient une menace de trouble à l’ordre public.
L’affaire a remué ces dernières heures la capitale rhodanienne. Quelques semaines après son expulsion d’Israël et son arrivée en France, Salah Hamouri, avocat franco-palestinien de 37 ans, était attendu à Lyon pour une table ronde qui avait pour thème « Trente ans après la signature des accords d’Oslo, regards sur la Palestine ». Le maire de Lyon, Grégory Doucet (EELV), qui s’était surtout jusque-là distingué pour son faible goût pour le Tour de France et pour la Patrouille de France, a été contraint d’annuler la conférence qui devait se dérouler le mercredi 1er février et au sujet de laquelle la préfecture du Rhône avait mis en garde dès lundi dans un courrier contre les « risques de troubles à l’ordre public ».
L’édile regrettait de ne pas « pouvoir garantir sereinement la liberté d’expression », au moment même où Israël connait une flambée de violence, et alors que la France a toujours été un terrain propice à l’importation du conflit israélo-palestinien.
Emotion au sein de la communauté juive
Au sein de la communauté juive de Lyon, la conférence commençait à susciter de vives émotions. Vendredi dernier, le grand rabbin de Lyon, Daniel Dahan, annonçait qu’il se retirait du groupe interconfessionnel créé en 2002 et qui rassemblait les représentants des cultes chrétien, juif et musulman. Dimanche, lors d’une cérémonie consacrée au souvenir de la libération du camp d’Auschwitz, le nom du maire (qui n’a pas eu l’audace de se rendre lui-même sur place) a été hué. Des appels à la démission ont fusé. L’adjointe au maire à la Mémoire, Florence Delaunay, dépêchée pour l’occasion, a tenté de prendre la parole. Huée à son tour, elle a dû stopper son intervention. Le public lui avait alors tourné symboliquement le dos. Le fils d’Ida Nathan s’est alors emparé de son micro alors qu’elle venait d’évoquer la mémoire de la Lyonnaise rescapée d’Auschwitz et décédée en juin dernier. « Je ne vous donne pas l’autorisation de parler au nom de ma mère ». À l’époque, la mairie de Lyon n’avait pas le moindre mot pour la dernière rescapée du train de la mort du 11 août 1944.
Un profil qui interroge
On connaît la passion historique des Verts pour le conflit israélo-palestinien. Le profil de Salah Hamouri interroge. Libéré de prison en 2011 dans le cadre d’une libération de prisonniers contre Gilad Shalit, soldat franco-israélien détenu par le Hamas, il avait été arrêté six années plus tôt parce qu’il avait été suspecté de vouloir assassiner le rabbin orthodoxe Ovadia Yosef. En 2008, il avait reconnu sa culpabilité.
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C’est aussi en 2008 qu’un « comité de soutien national » se met en place pour protester contre sa condamnation, avec des noms impressionnants : Marie-George Buffet, Noël Mamère, Christiane Taubira, Jean-Louis Bianco, Jack Lang, Olivier Besancenot, Rony Brauman, Monseigneur Gaillot. Toute ressemblance avec la liste des anciens soutiens de Cesare Battisti serait purement fortuite. Suspecté par l’Etat hébreu d’avoir repris contact avec ses petits camarades du Front populaire de libération de la Palestine (organisation reconnue par la France comme terroriste), il fut de nouveau incarcéré puis expulsé, fin 2022, vers la France, pour « défaut d’allégeance », en décembre dernier. « Je suis leur cible depuis plus de vingt ans. Ils voulaient me déporter (sic) vers la France depuis 2005. J’ai toujours refusé. Ils m’ont contraint à partir. De force. C’est pour faire un exemple, pour montrer aux jeunes générations ce qui attend ceux qui veulent leur résister », déclarait-il le 18 décembre dernier, sur le tarmac de Roissy.
Des propos qui n’annonçaient pas forcément une prise de parole apaisée si la conférence lyonnaise avait eu lieu. Né à Jérusalem d’un père palestinien et d’une mère française, Salah Hamouri n’a pas la nationalité israélienne et n’avait à l’intérieur de Jérusalem-Est qu’un statut de résident révocable. L’expulsion a provoqué l’ire du Haut-Commissaire de l’ONU aux Droits de l’homme, qui par l’intermédiaire de Jeremy Laurence, a rappelé qu’il était interdit d’expulser des personnes d’un « territoire occupé » et de « contraindre ces personnes à prêter serment d’allégeance à la puissance occupante ». Le 22 décembre dernier, l’hebdomadaire Marianne a publié un article intitulé « Le symbole Salah Hamouri » et qui tente un parallèle hasardeux entre le conflit israélo-palestinien et la guerre russo-ukrainienne : « Seule sa double nationalité a empêché Israël de le traiter comme l’un de ces Palestiniens anonymes que les occupants arrêtent à la moindre occasion, espérant faire taire la voix d’un peuple qui défend son droit à la souveraineté, cette valeur que certains redécouvrent avec l’invasion de l’Ukraine ».
L’éternel soupçon du clientélisme politique
Véritable menace pour la sécurité israélienne ou martyr de la cause palestinienne ? Toujours est-il que l’idée de la mairie de Lyon de recevoir Salah Hamouri a suscité l’émotion au sein de l’opposition locale.
Jérémie Bréaud, maire de Bron et conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes, reproche à Grégory Doucet « d’être un maire militant d’extrême-gauche » et lui demande de devenir « enfin le maire de Lyon ». Les éléments les plus chafouins reprocheront peut-être à l’élu lyonnais de courir après les voix musulmanes à coups de clins d’œil plus ou moins discrets, au risque de mettre en péril la paix publique dans la deuxième ville de France, qui compte une communauté juive de 30 000 personnes.
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