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Hôpital: mort sans ordonnance

En Essonne, un drame rappelle l’état alarmant de l’hôpital public


Hôpital: mort sans ordonnance
Image d'illustration Unsplash

Mort d’une crise cardiaque en sortant d’un hôpital qui ne lui avait rien trouvé d’anormal, l’histoire de Salah Hamidi est révélatrice de l’état de l’hôpital public. La politique comptable des gouvernements qui se sont succédé, réduite à la fermeture de lits, à l’exploitation des médecins et à la dégradation des conditions de travail se traduit aujourd’hui par une augmentation du nombre de morts chez les patients. Et il faut ajouter à cela les pertes de chance ou les décès liés à la pénurie de médicaments. Les faits sont connus, renseignés et pourtant, politiquement rien ne bouge. En matière de santé on expérimente en direct la tiers-mondialisation de la France.


L’histoire est particulièrement tragique, c’est Le Parisien qui la raconte dans son édition du 20 février 2024[1]. Il est 4 heures du matin ce jour de janvier, Salah Hamidi, 49 ans, se rend à son travail. Sur la route, il ne se sent pas bien: intenses douleurs thoraciques, acidité dans la poitrine, maux de tête, douleur au bras gauche… Il cumule tous les symptômes de la crise cardiaque. Il appelle les pompiers qui le prennent en charge à 4h40 et le déposent aux Urgences du centre hospitalier d’Étampes pour suspicion d’infarctus. Mais il est renvoyé chez lui à 8 heures sans avoir été pris en charge sérieusement. Il a été retrouvé mort dans sa voiture alors qu’il venait de sortir de l’hôpital. Cause du décès : crise cardiaque bien sûr.

Une histoire révélatrice du fonctionnement dégradé de l’hôpital

Le problème c’est que les faits divers de ce type s’accumulent. En France il y a des patients qui décèdent sur leur brancard aux urgences.Et ces informations ne sont pas secrètes. La crise des Urgences ou plus largement de l’hôpital public est renseignée, mais les gouvernements successifs semblent s’en laver les mains. Or l’hôpital public est une des institutions clé de notre système de solidarité et fut longtemps la fierté de la France. Aujourd’hui nous n’avons plus la meilleure prise en charge du monde, l’engorgement des hôpitaux devient la règle, les disfonctionnements sont tels que l’hôpital repose sur le dévouement de soignants épuisés et maltraités. Les conséquences de cet état des lieux sont terribles pour les personnels médicaux comme pour les patients.

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Pourtant, la crise des Urgences, comme celle de la qualité du service hospitalier, n’est pas nouvelle. Les médecins ont alerté les autorités depuis longtemps et en des termes on ne peut moins équivoques. Or plus les exemples de disfonctionnements s’accumulent, plus les rodomontades ministérielles se multiplient. La négation du réel est à ce point assumée que les ministres ne se soucient même plus de crédibilité. Ainsi, à l’été 2022, alors que la saison promet son lot d’épisodes caniculaires, de plus en plus d’hôpitaux annoncent soit la fermeture des services d’Urgences, soit celle de l’accueil de nuit. Le tout alors que les déserts médicaux sont légions et que l’hôpital est parfois le seul recours pour certains bassins de population. Croyez-vous que cela inquiète les autorités de santé ? Pensez-vous ! le ministre, à cette occasion, s’est félicité que « l’hôpital soit ouvert la journée ». Authentique.

Des alertes qui s’accumulent sans susciter de réaction du pouvoir

Dans un rapport de mars 2022, le Sénat prévenait déjà que l’hôpital était à bout de souffle et approchait du point de rupture. En décembre 2022, c’est un collectif de plus de 5 000 médecins, soignants et agents hospitaliers qui s’étaient adressés à Emmanuel Macron par le biais d’une tribune[2]. Avant l’épidémie de Covid, les médecins urgentistes avaient fait grève pendant six mois. En janvier 2020, c’était 1000 chefs de service qui avaient renoncé à leurs fonctions de chef de service, « posant le képi pour essayer de sauver la blouse ».

Hausse de la mortalité des patients

Depuis rien n’a été fait et l’hôpital s’effondre lentement sous nos yeux pendant que le gouvernement continue à réduire le nombre de lits arguant que l’on peut faire plus avec moins. Ce à quoi les médecins rétorquent qu’ils n’ont déjà plus les moyens de mener à bien leurs missions. Le problème est que les médecins ont un argument imparable : la hausse de la mortalité des patients notamment. On estime à 150 le nombre de morts lié à l’engorgement des hôpitaux rien que pour le mois de décembre 2022.

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Eh bien, même cela ne réussit pas à provoquer la moindre prise de conscience chez nos politiques ou chez les hauts-fonctionnaires du ministère de la Santé. Il faut lire le témoignage sur Facebook de Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et syndicaliste, quand il raconte sa rencontre avec le responsable de l’Agence Régionale de Santé du Finistère, territoire où les services d’urgences sont dans un état catastrophique. Alors que le médecin lui explique que le système de santé est en train de s’effondrer, voilà ce que lui répond le directeur : « Je dirai plutôt que le système de santé, en France est en pleine mutation. Une mutation lourde, profonde, porteuse d’inquiétude, mais aussi d’espoir et d’amélioration. » Cette perle technocratique de la plus belle eau signifie l’abandon du système de santé public et témoigne de l’absence de vision et de perspective du politique en la matière. Dans ce même post, une autre anecdote est fort instructive.  Il s’agit des échanges que nous rapporte Christophe Prudhomme concernant l’hôpital nord à St Ouen. Cet établissement doit remplacer deux hôpitaux existants. Mais tandis que les directeurs de l’AP-HP se rengorgent, présentant leur nouvelle création comme le plus grand centre hospitalo-universitaire d’Europe, le syndicaliste rappelle que le seul résultat dont on est d’ores et déjà sûr concerne la baisse du nombre de lits. La nouvelle politique : caser un maximum de patients à l’hôtel… Moins de service à la population, mais un gain de prestige pour les décideurs, voilà ce que semble être la boussole qui guide les décisions publiques ! Tout cela alors que l’hôpital est le patrimoine commun des Français et que la politique de santé a des incidences directes sur la durée et la qualité de nos vies.

Dans toutes ces histoires, on se demande encore si la vision comptable des technocrates n’est pas un des meilleurs outils que l’on connaisse pour sacrifier l’intérêt général, sur l’autel de la soi-disant bonne gestion des deniers publics. En attendant, on demande au sens du devoir des médecins d’assurer ce que les politiques ont abandonné. En acceptant des conditions de travail invivables, un mode de fonctionnement dégradé et le déni des politiques face à la détérioration de la qualité de la prise en charge à l’hôpital, les médecins se dévouent au risque de voir l’Etat ignorer leurs souffrances et minorer ce que crée ce type de fonctionnement sur la santé et l’avenir des patients. Quand le système aboutit à une perte de chance pour les patients et à l’augmentation de la mortalité, on se demande ce qu’il faut de plus comme signes concrets pour inciter le pouvoir à agir.

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[1] https://www.leparisien.fr/essonne-91/salah-49-ans-mort-dun-infarctus-en-sortant-de-lhopital-ils-nauraient-jamais-du-le-laisser-partir-20-02-2024-XLSLEH42GRB6RADGNNJIGKMXQM.php

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/21/l-hopital-public-n-est-plus-capable-d-amortir-la-moindre-crise-sanitaire-meme-si-elle-est-previsible_6155241_3232.html



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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