« Elle ne brille pas par son contenu, uniquement centré sur la religion », résumait le site 20minutes.fr à propos de la lettre de Salah Abdeslam en prison, révélée il y a quelques jours par Libération. Ce dernier « y affiche sa très forte religiosité et c’est à peu près tout », ajoute le journaliste en charge de la rédaction du papier. « J’ai senti qu’il se radicalisait de manière extrême » ajoute même son ancien avocat, Me Berton, dans Libération, estimant sans doute que ses actes terroristes perpétrés jusqu’ici ne pouvaient pas être considérés comme tels.
Un fou de Dieu sous les verrous…
Outre cette religiosité prétendument récente, l’élément qui a retenu l’attention des journalistes est l’absence de honte éprouvée par Salah Abdeslam, le site Atlantico choisissant de titrer son article par cette affirmation du terroriste « Je n’ai pas honte ». Idem pour BFM TV et Le Point, à la différence près que ce dernier ajoute le terme « stupéfiante » pour qualifier la lettre.
Aucun des journalistes ne semble s’intéresser au fait que Salah Abdeslam, qui ne parle absolument à personne, qui ne daigne répondre à aucune des lettres d’admiration ou d’interview qui lui sont adressées, prenne la peine de répondre à une inconnue et termine sa lettre ainsi : « Es-tu soumise ? Sinon alors dépêche-toi de te repentir et de te soumettre à lui. N’écoute pas les paroles des gens mais plutôt les paroles de ton Seigneur. Il te guidera. » On est loin de l’individu sans cœur qu’on s’amuse à nous dépeindre mais surtout très loin d’un radicalisé qui se serait islamisé. On a plutôt affaire à un fou de Dieu, quelqu’un qui prend tout à la lettre et qui cherche clairement à « sauver » cette femme qui lui écrit.
Il n’y a, par ailleurs, absolument aucune forme de violence dans ses propos, aucune haine non plus, aucun ressentiment ni aucun sentiment de revanche par rapport à une nation qui l’aurait opprimée. Encore moins de ce nihilisme censé guider tous les actes terroristes selon Yann Moix dans son dernier essai ou encore Olivier Roy, qui affirmait en novembre 2015 dans Le Monde que le « djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste ». « Je ne cherche ni à m’élever sur terre ni à commettre le désordre », écrit Abdeslam, contredisant là encore la thèse d’Olivier Roy selon laquelle les terroristes « cherchent une cause, un label, un grand récit pour y apposer la signature sanglante de leur révolte personnelle ». Rien de tout cela chez Salah Abdeslam : « Je ne veux que la réforme, je suis musulman » écrit-t-il simplement, comme si ce dernier vocable suffisait à justifier ce qu’il a commis.
… objet de toutes les fascinations
La sobriété de ton d’Abdeslam et son refus des nombreux honneurs qu’on lui décerne discréditent également la thèse du déséquilibré, du fou narcissique ou du loup solitaire. Toujours selon Libération, il serait pourtant l’objet de toutes les fascinations : « Des catholiques lui écrivent pour l’interroger sur sa foi, des femmes crient leur amour et déclarent vouloir porter son enfant […] c’est incessant ». Comme pour Mohamed Merah, beaucoup considèrent donc qu’il a fait ce qu’il fallait, qu’il a agi pour le bien. C’est bien la preuve qu’un certain nombre de gens se reconnaissent, hélas, dans ces atrocités.
Toutes les théories selon lesquelles la plupart des terroristes ne seraient pas des gens véritablement religieux – Libé ne manque d’ailleurs pas de rappeler, dans son article, que « quelques semaines avant les attentats, Salah Abdeslam écumait encore les discothèques belges » – viennent donc se fracasser sur la lettre de l’enfant de Moleenbeek. Certes, Abdeslam, comme d’autres avant lui, n’a pas eu un parcours religieux au sens où il aurait dédié toute sa vie à l’Islam. Mais ce n’est pas parce que certaines conversions sont rapides qu’elles sont nécessairement insincères. Le zèle religieux dont font preuve certains nouveaux convertis devrait au contraire nous alerter sur la facilité avec laquelle d’autres risquent de se laisser influencer. Tant que des gens peu scrupuleux, dans les prisons ou dans nos quartiers, continueront à pouvoir utiliser les versets d’un livre qui se prétend incréé pour justifier des attentats, les candidats pour le djihad ne manqueront pas.
Qu’une toute petite partie de radicalisés cherchent dans l’Islam une justification à leur haine, leur désespoir, leur envie de revanche ou d’absolu, cela peut évidemment exister. Mais continuer à ne vouloir établir aucun rapport, comme le font Olivier Roy, Alain Bertho ou Yann Moix, entre ces terroristes et la montée d’un Islam radical dans beaucoup de pays du Moyen-Orient mais également d’Europe est, au mieux, un déni de réalité, au pire l’expression d’un profond aveuglement.
On m’objectera peut-être que si Abdeslam n’est pas allé jusqu’à s’ôter la vie, c’est sans doute que son profil diffère légèrement de celui des autres terroristes. Ce n’est pas impossible, mais étant donné qu’il ne regrette rien de ce qu’il a fait, il est fort probable que ces différences soient minimes. Et c’est toujours plus riche d’enseignement que de se contenter de faire parler les morts.
« Une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation » disait Montesquieu dans De l’Esprit des lois. De ce point de vue là, Salah Abdeslam et consorts font très bien leur travail.
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