La moitié des actes antireligieux commis chaque année en France visent des chrétiens. Ces victimes suscitent indifférence ou compassion a minima chez les politiques et dans les médias. Si ce détachement est partagé par une part non négligeable des fidèles, tous ne veulent pas tendre l’autre joue.
Le constat de la mission ministérielle sur les actes antireligieux est sans appel : sur les 1 659 actes antireligieux commis en 2021, plus de la moitié concernent le christianisme, un tiers le judaïsme et un peu plus de 10 % l’islam. Longtemps, les actes antichrétiens se sont résumés à des dégradations et des vols dans les lieux de culte. Désormais, les violences physiques se multiplient. Des attaques motivées par l’islamisme, le satanisme, l’activisme de l’extrême gauche radicale ou une forte instabilité psychologique, selon l’ex-députée des Hauts-de-Seine, Isabelle Florennes (MoDem), co-auteur du rapport publié en mars dernier.
Le dimanche 19 avril 2015, la communauté catholique de Villejuif échappe de peu à l’apocalypse. Le terroriste qui se préparait depuis des mois à la frapper à l’arme de guerre s’est blessé en glissant un pistolet automatique dans sa ceinture. Un an plus tard, le père Jacques Hamel était égorgé en pleine messe par deux terroristes islamistes à Saint-Étienne-du-Rouvray. Depuis les guerres de Vendée, c’était la première fois qu’un prêtre était assassiné en France par haine de sa foi. Depuis, les catholiques ne célèbrent plus une fête sans la protection de l’armée ou de la police, gilet pare-balles sur le dos et l’arme au poing.
Pourtant, quatre ans après, un homme seul faisait un carnage à la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption de Nice. Les deux fidèles et le sacristain, tous trois égorgés, sont les 261e, 262e et 263e victimes tuées dans un attentat islamiste sur le sol français depuis janvier 2015.
En mai 2021, en plein Paris, un pèlerinage organisé par le diocèse pour honorer la mémoire des religieux et des fidèles massacrés pendant la Commune est pris à partie par des antifas. Deux blessés finiront à l’hôpital. Six mois plus tard, une procession d’une trentaine de fidèles d’une paroisse de Nanterre essuie crachats, menaces de mort et insultes : « kouffars » (« mécréants »), « vous êtes pas chez vous »… « Sur le Coran je vais t’égorger », lance l’un des agresseurs au prêtre qui ouvre la marche.
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Depuis la publication du rapport Sauvé sur les crimes sexuels dans l’Église (commis dans leur écrasante majorité il y a plus de trente ans), de nombreux prêtres baissent les yeux lorsqu’ils marchent dans la rue. Par peur des moqueries, des insultes ou des coups…
Dans le cas du médecin militaire Alban Gervaise, 41 ans, égorgé le 10 mai dernier au nom d’Allah, le mobile terroriste n’a même pas été retenu, mais qui s’en étonne ? Vingt-deux ans au service de la patrie, en « première ligne » contre le Covid, il est mort à la mauvaise guerre. Il n’y eut aucun ministre à ses obsèques, on ne donnera pas son nom à un hôpital, il ne recevra pas de médaille à titre posthume, ses enfants ne seront pas pupilles de la Nation.
Les meurtres les plus barbares seraient-ils devenus si tristement banals que plus personne ne s’en offusque, surtout lorsqu’ils visent des chrétiens ?
Le 11 juin, Alberto Toscano, écrivain et correspondant à Paris de la radio italienne Radicale, lâchait douloureusement sur France Culture: « Je suis très pessimiste. On ne parle pas assez du cancer qui nous menace, le terrorisme islamiste. À Marseille, un médecin militaire est tué à coups de couteau et la presse française en parle très peu. Ce terrorisme est toujours présent dans nos sociétés européennes. Le véritable enjeu, le défi, est de comprendre ce réseau et de faire en sorte qu’il ne puisse plus nous nuire. »
Emmanuelle Coulomb, présidente de l’association CathoVoice, qui porte la parole des laïcs catholiques dans les médias, préfère botter en touche. « Le terrorisme, la montée des extrêmes en politique, l’effondrement de l’éducation ou le changement climatique peuvent faire peur, mais ils ne sont que les symptômes d’un délitement de la société beaucoup plus redoutable. Ces phénomènes me font moins peur qu’ils ne me rendent profondément triste. » Le décalage entre la recrudescence des actes antichrétiens et le détachement affecté par une part non négligeable des fidèles peut surprendre : « La situation vient heurter notre foi, mais elle nous permet d’affronter les évolutions de l’histoire, poursuit-elle. C’est notre vocation de catholique d’apprendre à faire confiance. Ces attentats nous ramènent au cœur de notre foi : certains chrétiens sont appelés au martyre et ce ne sont pas des mots, il n’y a rien de plus concret. » L’Église honore en effet la mémoire des milliers de martyrs qui, des premiers siècles de notre ère à nos jours, ont été emprisonnés, torturés ou assassinés parce qu’ils pratiquaient leur foi ou refusaient de renier le Christ. Le Martyrologe romain compte 909 saints canonisés sous le seul pontificat de François… dont pas loin de 850 martyrs !
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Pour Marc Eynaud, journaliste et auteur de Qui en veut aux catholiques ? (Artège), « les catholiques n’échappent pas à l’injonction de l’époque qui est d’en vouloir d’abord à soi-même. L’Église de France se divise ainsi entre une jeunesse catholique décomplexée et une génération d’anciens qui confond tiédeur et prudence. La jeune génération refuse de s’excuser d’être ce qu’elle est.» Natalie, divorcée-remariée et engagée dans une paroisse de l’Est parisien, acquiesce : « Le danger qui menace l’Église vient de l’Église elle-même. La foi de ma famille a survécu par miracle aux errements liturgiques des décennies qui ont suivi Vatican II. Aujourd’hui, j’ai peur de manquer de prêtres, surtout le jour prochain qui verra l’enterrement de mon père… »
« Beaucoup s’imaginent que les catholiques redoutent la fin de la civilisation chrétienne, analyse Emmanuelle Coulomb. C’est évidemment une question qui travaille la communauté. Convaincue de ce qu’elle peut apporter de bon à la société, elle craint d’élever ses enfants dans un monde où ils seront ultra minoritaires, ce qui les attend probablement d’ici quelques décennies. Pour y faire face, la génération actuelle a déjà acquis de nouveaux réflexes, ou plutôt des réflexes très anciens, puisqu’ils remontent aux premiers temps de l’histoire de l’Église : tandis que la société se morcelle, les catholiques se connaissent, se rassemblent, forment des communautés, etc. »
Marc Eynaud veut rester modérément optimiste : « Au long de son histoire, l’Église a prouvé qu’elle se remettait plus facilement des attaques extérieures que de ses propres turpitudes ! Elle a survécu aux persécutions romaines, à l’effondrement de l’Empire, aux invasions barbares… La Révolution française a fourni des légions de saints à l’Église. Cela n’a pas sauvé le catholicisme occidental, mais ces jeunes chrétiens ont l’intime conviction qu’à la fin du match, ils seront les derniers debout. »
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