Dans Eloge d’une guerrière (Grasset), Jean de Saint-Cheron évoque la figure de Thérèse de Lisieux dont c’est le 150ème anniversaire de la mort.
J’ai côtoyé quelques saintes de l’abîme lorsque j’écrivais sur Georges Bataille. Elles m’ont beaucoup apporté. Jésus ne dit-il pas que « les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu » ? Avec Thérèse Martin, qui deviendra, le cœur battant pour Dieu, sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, nous sommes confrontés au mystère de la foi.
Nous nous élevons, dans la douleur et le renoncement à soi, vers la lumière qui nous éloigne des ténèbres. Car, avec la jeune Thérèse, orpheline de mère à quatre ans, cloîtrée volontairement et ardemment dès l’âge de 15 ans au Carmel, entrée en agonie à 24 ans, rongée par la tuberculose, nous découvrons que la vie terrestre est un combat pour lutter contre l’égoïsme, les pulsions nombrilistes entretenues par le système marchand et les lâches reniements devant le silence éternel des espaces infinis qui effraie, comme l’a si justement écrit Pascal. La jeune Thérèse, très tôt, l’affirme : « La foi, c’est une histoire d’amour. » Et pour comprendre ce principe immuable, et le vivre, la tache est immense. Thérèse, encore : « Aimer, c’est tout donner, et se donner soi-même. » Son génie, irrigué par une foi inébranlable, sera d’en porter la nouvelle à la terre entière.
La force d’aimer
À l’occasion du 150e anniversaire de la mort de la sainte, Jean de Saint-Cheron, directeur du cabinet du Recteur de la Catho, journaliste, écrivain, nous propose le portrait de Thérèse, de chair et de sang, loin de l’imagerie traditionnelle, visage blanchâtre, bouquet de roses et crucifix entre les bras, voile noir sur la tête. C’est une Thérèse souffrante et tournée vers Dieu qui s’anime au fil de sept courts chapitres, sans pathos ni lyrisme. Nous découvrons une jeune femme « combattante géniale parmi les myriades canonisés », qui a lu les Évangiles et connaît la vie de Jeanne d’Arc, son modèle. Douée, elle écrit des mémoires spirituels à 22 ans, Histoire d’une âme, qui lui vaudra d’être reconnue sainte en 1925. Comme quoi, la littérature conduit au plus haut. Sainte, mais d’abord femme moderne s’affranchissant à la fois d’un Dieu punisseur comme des déterminismes psychologiques et sociaux de son temps. Elle conduit deux batailles : « Réclamer sans relâche la force d’aimer, s’efforcer d’aimer. »
Son parcours existentiel, qui ressemble à un météore, devrait nous inciter à refuser la déréliction de notre époque matérialiste. Son sourire, dont Bernanos disait qu’il était « incompréhensible », devrait nous insuffler la force d’inverser les desseins du Diable.
Avant de clore cette chronique, je songe à cette petite fille aveugle, entourée de prostituées, dont on barbouilla le front de terre où reposait Sainte Thérèse, dans le cimetière de Lisieux, et qui recouvra la vue quatre jours plus tard. Cette petite fille devint une star de la chanson. Elle dut beaucoup penser à Thérèse quand elle interpréta l’une de ses plus émouvantes chansons, « Mon Dieu ».
Jean de Saint-Cheron, Éloge d’une guerrière, Grasset.
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