Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
Des incendies spectaculaires qui ont dévasté la côte ouest des États-Unis, il nous a été permis de voir des images aux couleurs orangées comme dans un mauvais rêve, étrangement belles, entre effroi et extase. Elles ne galvaudent pas, pour une fois, l’adjectif « apocalyptique » et renvoient de fait à l’Apocalypse de Jean, où le fléau majeur est le feu : « Et dans cette vision les chevaux me parurent ainsi : ceux qui étaient montés dessus avaient des cuirasses de couleur de feu, d’hyacinthe et de soufre ; les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lions ; et de leur bouche il sortait du feu, de la fumée et du soufre. Par ces trois plaies, c’est-à-dire, par le feu, par la fumée et par le soufre, qui sortaient de leur bouche, la troisième partie des hommes fut tuée[tooltips content= »Cette traduction biblique, notre préférée parce qu’elle est belle comme du Racine, est du janséniste Lemaître de Sacy (« Bouquins », Robert Laffont). »](1)[/tooltips]. » L’explication de cette vision saisissante par l’agence de contrôle de la pollution de San Francisco est-elle plus rassurante ? « Ces particules de fumée dispersent la lumière bleue et ne permettent qu’aux rayons jaunes, orange et rouges d’atteindre la surface, ce qui donne cette couleur orangée au ciel. »
À moins que l’État de Washington, l’Oregon et la Californie aient été soumis à un autre feu biblique, celui de la Genèse, qui dévasta Sodome et Gomorrhe : « Alors le Seigneur fit descendre du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu, et il perdit ces villes avec tous leurs habitants, tout le pays d’alentour avec ceux qui l’habitaient, et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre. » Certes, San Francisco, la Sodome américaine pour la droite chrétienne, n’a pas été détruite. Il y a eu néanmoins des villes rayées de la carte comme Berry Creek, 1 200 habitants parmi lesquels Misty Spire : « On aurait dit l’apocalypse, les flammes de l’enfer », comme si les seules images qui venaient à l’esprit devant un incendie monstre étaient celles de la Bible, récit fondateur par excellence, où tout a déjà eu lieu.
Par exemple, cette « verdeur » disparue, c’est ce qu’a découvert, dans l’état de Washington, le gouverneur Jay Inslee avec les 200 000 hectares de forêts détruits : « Ce n’est plus le Washington d’avant. Je penserai à ces incendies et à leurs impacts sur nos populations quand nous prendrons nos prochaines décisions pour battre le changement climatique. » Pas question pour Trump d’accepter une telle explication. Lui met l’accent sur la « mauvaise gestion forestière par les gouverneurs démocrates ». Même si l’argument peut s’entendre en partie, on pense, pour le coup, à l’Évangile de Matthieu : « Vous écouterez de vos oreilles, et vous n’entendrez point ; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point. »