Le père Jacques Hamel avait 86 ans. Ce 26 juillet il est donc mort, égorgé par deux terroristes se réclamant de Daech, dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, près de Rouen, où il célébrait la messe avec quelques fidèles, comme lui pris en otages. Une vie vaut une vie. L’assassinat d’un vieux serviteur de l’Evangile parvenu au terme d’une vie offerte, n’est pas plus abject que celui d’un enfant innocent, broyé sous les roues d’un camion fou, un soir de 14 juillet dans les rues de Nice.
Célébrer la messe, un acte de liberté
Notre République laïque, dans son désir impérieux de tenir tout pouvoir religieux « à distance » des décisions qui concernent la vie de la cité, n’a pas oublié pour autant la force de ce symbole qui a traversé les siècles, se manifestant parfois contre les excès du pouvoir civil lui-même : l’espace sacré de l’église comme ultime refuge contre toute forme de violence, au nom du Dieu d’amour auquel les fidèles ont donné leur foi. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui est aussi celui des juifs et des musulmans. Même si chacun le prie dans sa propre « langue » spirituelle. Même si d’autres choisissent librement de se tenir à l’écart de toute appartenance religieuse. Célébrer la messe dans une église ouverte sur la rue, prier Dieu à la mosquée ou à la synagogue sont tout autant des actes d’insurrection, de liberté républicaine que dessiner des caricatures pour Charlie.
C’est bien le symbole religieux d’accueil et de paix, libérateur, civilisateur, qui était visé là et non les dérives matérialistes de nos sociétés sécularisées. Le 19 avril 2015, le massacre qui visait deux églises de Villejuif avait pu être évité. Mais l’on se doutait bien que la cible chrétienne, assimilée au croisé occidental, finirait par resurgir, à l’aveugle, quelque part dans l’Hexagone comme elle existe hélas, depuis des années, en maints lieux du Proche et du Moyen-Orient.
Depuis ce nouvel attentat, le plus étonnant est sans doute l’absence de toute surprise dans les réactions, les attitudes et les commentaires des uns et des autres, dans les prises de décision des autorités. Comme si la feuille de route qui s’impose désormais en de telles circonstances avait été rodée, validée, sans erreur possible, par les drames précédents. Je le dirai ici tel je le pense : l’image qui s’impose à moi est celle d’une forme de désarroi des autorités et de vacuité du discours politique dans son ensemble.
Comme tout citoyen, je m’interroge sur l’action du gouvernement et le soutien parfois ambigu de sa majorité. Je comprends que les Français, dans les sondages, puissent aujourd’hui exprimer leur doute sur la capacité des pouvoirs publics à assurer totalement leur protection. C’est l’une des faces de la réalité, même s’il faut saluer avec gratitude la compétence, la mobilisation et le dévouement exemplaires de nos forces de l’ordre : police, gendarmerie, armée. Pour autant, je n’ai pas trouvé à ce jour dans l’opposition la moindre déclaration qui nourrisse en moi la conviction qu’une « autre politique » serait possible et que les « recettes » formulées ici ou là avec une mâle assurance, auraient pu éviter quoi que ce soit des drames que nous venons de vivre ou seraient à même de nous protéger de manière certaine pour l’avenir.
Que sont nos enfants devenus ?
À dresser un tel bilan dans un contexte où d’autres actes terroristes peuvent survenir à tout moment, on pourrait légitimement se laisser envahir par le doute et la peur. Or la peur ne saurait être une réponse au défi qui nous est jeté. Nous laisser gagner par la peur serait donner raison à ceux qui ont choisi cette stratégie perverse pour nous diviser et faire éclater à terme notre communauté nationale. Oui, quelles que soient nos attentes légitimes vis à vis de nos gouvernants, quel que soit leur devoir de protection, nous savons désormais que d’autres drames sont possibles sauf à renoncer à être un pays de liberté, qu’il nous faut apprendre à vivre sous la menace comme d’autres le font en divers lieux de la planète, et que nous devrons tenir bon, dans la durée, en serrant les poings et les dents, parce qu’il y va de nos raisons de vivre et d’espérer pour nous-mêmes et pour les générations de nos enfants et de nos petits-enfants. Parce qu’il y va de la victoire d’un certain humanisme sur la barbarie.
Oui, nous voici entrés en résistance. Non pas contre d’autres Français, fussent-ils musulmans, eux aussi victimes de la même folie meurtrière. Entrés en résistance contre nos propres peurs et contre ceux qui les nourrissent à des fins électoralistes. Oui nous devons nous battre, sans nous lasser, pour une forme d’unité nationale, en redisant que personne n’est dépositaire des clés d’accès à la liberté, à l’égalité et à la fraternité qui demeurent notre bien commun. Et qu’il est des moments dans l’histoire d’une nation, où des citoyens responsables doivent accepter de suspendre momentanément des surenchères idéologiques, renoncer à la prétention d’imposer leur vérité au seul motif qu’ils en auraient les moyens parlementaires ou médiatiques. Cette sagesse fait aussi partie de notre héritage commun.
Et posons-nous enfin, ensemble, la vraie question : pourquoi certains parmi nos propres enfants en viennent-ils à nourrir une telle haine pour leur pays que répondre à l’appel nihiliste de Daech en y laissant la vie leur apparaisse comme un sort désirable ? Où donc est la faille dans ce que nous continuons d’appeler les valeurs de la République sur lesquelles fonder un vivre-ensemble ?
Si la démocratie est un combat, ne l’épuisons pas en vaines querelles. En temps de paix civile ce serait déjà une faute ; dans la période terrible où nous sommes engagés, c’est devenu un crime absolu.
Dossier: les attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !