Causeur. L’attaque de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray et l’égorgement du prêtre revendiqués par l’Etat islamique visent-ils à provoquer des affrontements entre chrétiens et musulmans, voire une guerre civile faisant imploser la société française, comme vous le faisait dire Libération dans un entretien réalisé avant l’attentat de Nice[1. Un entretien opportunément retweeté par Edwy Plenel le matin du 15 juillet…] ?
Jean-Yves Camus.[2. Jean-Yves Camus est spécialiste de l’extrême droite.] Précisons d’abord que je ne souhaite pas l’implosion de la société française. Au-delà de mon positionnement politique clairement à gauche, je suis avant tout français. C’est la France qui est attaquée depuis des mois, elle n’a pas décidé d’être en état de guerre. J’ignore quelle sera la réaction de la société française à l’acte terroriste d’hier mais je suis certain que les catholiques de France ne se dresseront pas contre une autre partie de la nation. Clairement, le choix du lieu, de la cible et du moment de l’acte manifestent une attaque réfléchie et pensée contre l’Eglise catholique, ses prêtres et ses fidèles. C’est un acte de guerre de religion. On a aussi franchi un nouveau cap dans la localisation géographique des actes : après la capitale, après une très grande ville de province, c’est une petite ville de la France profonde qui est visée. Et la victime est un prêtre égorgé dans son lieu de culte le jour de l’ouverture des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), ce qui n’est pas un hasard.
Est-ce à dire qu’au même titre que l’antisémitisme, l’antichristianisme est aujourd’hui un puissant moteur de la violence djihadiste ?
Même s’il y a une composante spécifiquement antijuive dans le discours de l’islam radical, dès l’époque d’Al-Qaïda, on était face à une organisation se réclamant du « front mondial contre les croisés ». La référence aux Croisades inclut bien évidemment les chrétiens. C’est l’ensemble des sociétés « apostates » qui est visé. Il n’y a qu’à voir le sort réservé aux chrétiens du Proche-Orient qui n’ont même plus aujourd’hui la possibilité de vivre en dhimmitude. Auparavant, ils étaient dans une situation insatisfaisante mais au moins pouvaient-ils vivre sur place. Maintenant, en Syrie ou en Irak, dans les zones contrôlées par Daech du moins – Bachar Al-Assad n’ayant jamais persécuté ni exterminé les chrétiens –, les chrétiens ne peuvent plus survivre. Mais ce n’est pas une raison pour croire que les chrétiens d’Orient doivent venir vivre chez nous. La solution consiste au contraire à ce que nous leur permettions de vivre à nouveau dans ces pays où ils sont implantés depuis deux millénaires, comme le réclame légitimement l’œuvre d’Orient.
Depuis hier, beaucoup de « chrétiens d’Occident » vivent dans la crainte, sinon dans la colère. Jugez-vous crédible l’hypothèse d’une réplique violente d’« ultradroite » au djihadisme ?
Il ne faut pas éliminer la possibilité qu’il existe un fou furieux, un déséquilibré ou un individu ayant par ailleurs des idées qui, demain, commette un acte terrible. Au moment de l’affaire Breivik, j’ai dit que cet homme avait des idées d’extrême droite (qu’il avait d’ailleurs exposées) mais que ce n’était pas une raison pour imputer la responsabilité de son acte au Parti du progrès dont il avait été adhérent. De même, ce n’est pas parce que qu’un de ses membres commettra un acte criminel que cela mettra en cause l’ensemble des mouvances de la droite nationale. Même après l’affaire du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray, personne ne peut penser que les milieux cathos-tradis ou le Front national n’incitent leurs militants à passer à l’action violente. Si une réplique se produisait un jour, compte tenu de la manière dont le paysage politico-médiatique fonctionne, cet acte aurait des répercussions dramatiques pour l’ensemble de la droite.
Pourquoi ?
Quand on réagit sous le coup de l’urgence, sans avoir toutes les informations nécessaires, ou avec un parti pris idéologique, les mises en cause sont toujours générales. Si des représailles se produisaient, tous ceux qui font de l’islamophobie l’alpha et l’omega de la politique française, qui pensent que la France est naturellement islamophobe, que l’Etat a instauré des discriminations, pourraient dire : « Vous voyez bien, nous l’avions annoncé ! » Or, le problème aujourd’hui est l’islam radical et les attentats qu’il commet. On ne peut pas coller le label d’islamophobe à la France tout entière ni à l’Etat. Le risque, c’est qu’un acte isolé efface cette vérité et donne la possibilité aux pyromanes habituels, au lieu de voir le problème auquel la France est confrontée – la guerre que l’islam radical nous a déclarés -, de renverser la perspective en expliquant que l’islamophobie galopante est le problème du pays.
Trouvez-vous donc infondées les critiques de la politique internationale « islamophobe » de la France, engagée sur plusieurs fronts en Afrique et au Proche-Orient ?
On a vu des gens se réunir place de la République à Paris autour du slogan « Leurs guerres, nos morts ». Mais nos guerres sont légitimes ! C’est leur guerre qui est illégitime. Quand on intervient en Syrie ou en Irak sous quelque forme que ce soit, quand des soldats de nos forces spéciales vont en Libye pour éviter que les islamistes en fassent un nouvel Etat sous leur coupe, la France est dans son droit. Depuis vingt ans, on entend toujours les mêmes, d’ailleurs peu nombreux, prétendre que si nous n’étions engagés sur aucun de ces théâtres d’opération, il ne se passerait rien. Malheureusement, on pourrait se retirer demain matin du Mali, de Libye, d’Irak et de Djibouti même, la guerre de civilisations lancée par Daech serait toujours là.
Dossier: les attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur
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