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Saint-Esprit, es-tu là ?


Habemus Papam.

Attendrissant mais déconcertant, drôle mais angoissant, Habemus papam, le dernier film de Nanni Moretti, est délicieusement ambivalent.
Par charité païenne, Moretti nous a fait grâce de la sempiternelle critique des abus de pouvoir du Vatican ou de la résistance rétrograde de l’Église rétrograde à l’évolution des mœurs. Pour autant, le cinéaste ne s’est pas converti en saint Nanni bienveillant. C’est avec un regard non pas moqueur mais amusé que le cinéaste observe l’envers humain, trop humain, du sacro-saint décor de cette institution vieille de plus de deux mille ans. Et derrière cette légèreté drolatique se loge une désacralisation du pouvoir pontifical et une démystification du Vicaire du Christ.

Moretti joue sur le décalage entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel et allège par le burlesque la tension que cristallise le vote des cardinaux pour l’élection d’un nouveau pape. De fait, cette élection, qui ne s’appuie sur aucune candidature, aucun programme et aucune campagne, prête à sourire. Elle suscite pourtant humilité et crainte chez les cardinaux qui prient tous pour ne pas être élus − on est loin des ambitions que suscitent nos scrutins « profanes ».[access capability= »lire_inedits »]

Et puis le rire se crispe devant cette Église qui s’abîme dans l’espace vide et noir du siège de Pierre laissé vacant. Le « oui » du consentement prononcé par le cardinal Melville (Michel Piccoli) après son élection fait vite place au cri de renoncement et à la fuite devant l’immense responsabilité à endosser. Comme l’énigmatique Bartelby, de Melville, il « préférerait ne pas ». Ne pas être le successeur de saint Pierre. Ne pas hériter d’une croix apostolique trop lourde à porter. Ne pas devenir une icône mondialisée.

Moretti dédramatise la situation en faisant entrer un personnage inattendu qu’il joue lui-même, un brillant psychanalyste, retenu en otage par le conclave qui ne sait plus quoi faire de ce pape dévasté par le doute. Il montre l’humanité des cardinaux qui, derrière le drapé solennel de leurs soutanes, sont voués, comme leurs ouailles, aux inéluctables péchés de gourmandise, de tricherie, de couardise… Et la confession sur le divan est remplacée par un tournoi de volley où les bienfaits cathartiques du sport collectif sont mis en valeur par des ralentis peut-être un peu trop appuyés.

Freud contre Pascal

Mais les piques de la satire selon Moretti, d’abord rendues indolores grâce à aux effets comiques dignes de la commedia dell’arte, se font peu à peu sentir. Moretti choisit Freud contre Pascal et file la métaphore théâtrale pour mieux réduire la religion à une illusion consolatrice. Le coup de tonnerre provoqué par l’absence du nouveau pape au balcon avait donné le la de sa vision des choses. L’interrègne est un entr’acte, le Vatican une scène de théâtre et les cardinaux des fantoches inconscients d’un simulacre destiné à dissimuler la vacance du pouvoir pontifical. Le rideau bouge, une ombre passe, et cela suffit pour simuler la présence factice du futur Saint-Père. Et c’est l’intéressé lui-même qui déchire le voile de l’illusion. À travers l’aveu de son désir refoulé de devenir acteur de théâtre, le nouveau pape révèle combien sa foi s’est fendillée.

Il quitte alors le Vatican et va traîner sa confiance ébranlée dans une Rome désemparée et lointaine qu’on a peine à reconnaître. Égaré parmi les égarés, il erre à la recherche d’une Parole qui alimenterait son âme anémique. En vain. Il ne sera pas sauvé par la Grâce comme Paul sur le chemin de Damas. Impuissant et absolument seul, il assiste au désolant spectacle d’un monde de confusion, de narcissisme et de désespoir.

Après la mascarade qui fait sourire, voilà la déroutante Tour de Babel qui inquiète. En prophète du vide, Moretti prêche, avec des accents dantesques, le retrait de Dieu et porte le coup de grâce en détournant les scènes bibliques de leur sens. C’est ainsi que les paroles unificatrices du Christ prononcées lors de la Cène se renversent dans un imbroglio incompréhensible lors du repas que Piccoli prend avec la troupe de théâtre rencontrée lors de son séjour dans un hôtel miteux de la capitale. Au milieu de ces automates qui récitent leurs rôles, le spectateur comprend qu’il n’a personne à qui parler. Tous s’enivrent de mots et personne ne veut échanger.

Qu’elles soient théoriques, médiatiques, médicales ou théâtrales, ces paroles se heurtent les unes contre les autres et ne se comprennent plus Elles ne peuvent ni expliquer, ni guérir, ni révéler et encore moins relier. Elles enferment celui qui les prononce dans une solitude artificielle qui flirte avec la folie.
Pour le meilleur et pour le pire, Habemus papam amuse et désabuse. Quant à Nanni Moretti, il ne semble pas trouver réjouissants ce monde désuni qui tourne à vide, ni cette Église sans pape qui ne sait plus transmettre un héritage allant de saint Pierre jusqu’à Benoît XVI.

Cet évangile funeste ne dévoilerait-il pas en Nanni Moretti, cinéaste athée, un chrétien romantique refoulé ?[/access]

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Octobre 2011 . N°40

Article extrait du Magazine Causeur



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