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Saint-Denis brûle-t-il?

(Fahrenheit 451 explications)


Saint-Denis brûle-t-il?
Nanterre, 29 juin 2023 © Michel Euler/AP/SIPA

ll flotte sur le pays une odeur de brûlé, de vieux Paris-Match des années 50. L’histoire bégaie. Le choc des mots, le poids des photos, des évènements, des années de braise. L’Algérie demande la protection de ses ressortissants oppressés par les colons français. Saint-Denis brûle-t-il ? Saint-Denis outragé, décapité, carbonisé, ne répond plus de rien ! Mai 68, Jouissons sans entraves, Enragez-vous, c’était la théorie. Cinquante-cinq ans plus tard, la joyeuse jeunesse multiculturelle passe à la praxis. La fureur de vivre.s des invisibles en cagoule qui font bouger les lignes (de coke), laisse aux contribuables une ardoise d’un milliard d’euros. Il faut mobiliser 45 000 policiers pour célébrer le 14 juillet… Tout va très bien Madame la Marquise de Viteparici. La victime collatérale des équipées sauvages, c’est notre fantasmagorique « modèle » d’assimilation qui explose en plein vol. Dans le déni, hors-Suger, les tisserands du « nous inclusif et solidaire », vont devoir recalculer les trajectoires rassurantes, profils et asymptotes d’intégrations. So long Antoine Doinel, Le Petit Bougna, Petite Feuille… : « La récréation n’est pas un dû, c’est une récompense » (Les 400 coups).

Avoir 20 ans dans les Abbesses

Malaise à Matignon, Libé, Télérama, France Inter… Les journalistes, sociologues, hérauts du rousseauisme lacrymal, enfilent les sophismes, bourdieuseries, proposent de chatoyants colliers de nouilles « pour faire France ». Ils ont l’habitus. L’opération déminage ne manque pas de ragoût. Tout s’explique, tout est relatif, les statistiques sont formelles… Les dégâts ne sont pas si considérables. Il y a toujours eu des émeutes. Les Français sont frondeurs. Il faut que jeunesse se passe. Nous avons tous fait des conneries (volé une bicyclette, pillé un magasin, cramé une école, tabassé des septuagénaires). Les sauvageons veulent s’exprimer. Ils ont le sang chaud. Ils sont pauvres, vénères, veulent de la thune et des meufs. Les pères sont absents, les mères trop admiratives. Privés de cours en juin, ils s’ennuient. Les banlieues manquent de services publics. Les minots sont mineurs, irresponsables… C’est aussi la faute aux riches, à CNews, Alain Finkielkraut, nos ancêtres les Gaulois, Charles Martel qui n’aurait pas dû vaincre l’émir de Cordoue en 732, la croisade d’Urbain II, la Reconquista d’Isabelle la Catholique, le néo-post-rétro-colonialisme… Pas sûr que la magie des Mille et Une Nuits (d’émeutes) suffise à noyer les poisons de la violence, du nihilisme libéral-libertaire, de l’effondrement de la transmission, sans oublier la lâcheté des politiques. 

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Le peuple a beaucoup déçu la gauche. La classe ouvrière ne monte plus au paradis. La lampe d’Aladin a remplacé celle de Lantier. Banco sur les banlieues, les sans-papiers, les réfugiés, le lupemprolétariat, « lazzaroni, pickpockets, maquereaux… la masse indéterminée, dissolue, ballotée et flottante… la bohème » (Marx). Au siècle dernier, les émigrés italiens, espagnols, polonais, boat people, en 10, 37, 50, 75, ne rigolaient pas tous les jours, mais n’avaient pas besoin de désintégrer pour s’intégrer. Les lilas sont morts. 

La Guerre du feu aura bien lieu

Denis Merklen, spécialiste des meutes urbaines, monte au front dans Libération : Mort de Nahel : ce qu’il faut entendre lorsque les bibliothèques brûlent. Le sociologue a l’ouïe fine et ne recule devant aucune énormité. « La révolte, les incendies et autres caillassages de bibliothèques compris constituent des actes symboliques destinés à provoquer la prise de parole et le débat là où, sans elle, le silence aurait régné… Nos bibliothèques brûlent devant l’incapacité à rendre intelligible l’évolution d’un monde qui chauffe devant nous jusqu’à s’enflammer périodiquement, comme des livres obsolètes qu’un bibliothécaire enverrait au pilon »… 451° Fahrenheit, 232,8°C, c’est le point d’auto-inflammation du papier. L’idéal, ce serait, à l’entrée des bibliothèques, un trieur-incinérateur de livres réac. Le plus hilarant pour la faim, qui justifie les moyens : « Au contact avec un monde incertain et instable, les ‘chasseurs urbains’ sortent en ville à la recherche de ressources qu’ils doivent attraper grâce à une intelligence située, loin de la reproduction dans laquelle s’installent les travailleurs des sociétés salariales stables » (Wikipédia, Denis Merklen). La nuit des chasseurs ! Rahan, Davy Crockett, Erostrate et Balavoine arrivent en ville, changent de peau et frappent au hasard. Préparons-nous pour la bagarre ! Classe glandeuse, classe dealeuse, classe dangereuse.

Au nord, c’étaient les Corons, les dominés. Dans les amphis de Vincennes-Saint-Denis, du Collège de France, dans la buée des lessiveuses woke et des schèmes cognitifs, les héritiers parlent le Bourdieu. Appelez-moi Boubou, pas de chichi… « Ils laissent là les choses, et s’amusent à traiter les causes. Plaisants causeurs » (Montaigne). On éclate de rire en imaginant les tribunes enflammées si un groupuscule d’extrême-droite avait incendié une bibliothèque… La bête immonde n’est pas morte, ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers… Les rebelles d’Etat, chercheurs d’agitprop, Frollo du CNRS, ont l’autodafé à géométrie variable. En 2023, une école ou une bibliothèque qui brûle, c’est une prison qui ferme. Solécisme et barbarie. Hugo, Péguy et Max Weber (Le Savant et le politique) se retournent dans leur tombe. Après l’opium, les intellectuels de gauche sont passés au crack ! 

La faiblesse tranquille 

Dans la seringue, sans grinta, ni vista, Emmanuel Macron se prend les pieds dans les tapis de prières et la tapisserie de Bayeux. Le souverain poncif promet « un travail en profondeur », en appel à « l’ordre durable », jongle entre Mohamed et Kevin sans convaincre François. Le funambule s’est pendu à sa propre corde. Gouverner, c’est réfléchir, trancher, tenir un cap, incarner. Ce n’est pas zigzaguer au gré des sondages, se réinventer tous les six mois, fuir les responsabilités en mandatant des cabinets de conseils, en jouant à Travolta dans les boites de nuit de Kinshasa. Un président, ça s’empêche… Les deux corps du roi Dagobert.

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À venir : conduite accompagnée de voiture-bélier, dès 14 ans. Une filière française d’extincteurs à mousse bio. 666e réforme de l’Éducation nationale avec kits « émeutes bienveillantes, mortiers d’artifices collaboratifs ». 999e plan Marshall des banlieues. Plantation de 10 000 palmiers pour la couche d’ozone et transformer la Seine Saint-Denis en Californie. La concorde, c’est la mixité : il faut tout changer, mettre le paquet, accélérer, plus loin, plus vite. 0-100 km/h en moins de 4 s en Mercedes AMG 45 ! À Choisy-le-Roi, cours de valse viennoise et de zoumba avec La fouine et les Demoiselles de la Légion d’honneur. À Bourg-la-Reine, inauguration d’une Villa Médicis de la révolte citoyenne. À la fête de l’Huma, un atelier « Silex, pois sauteurs et pyrotechnie amusante ». Une table ronde à l’IMA : Modernité du Crabe aux pinces d’or. Omar Ben Salaad et la figure fantasmée du despote oriental : imaginaires croisés. À Tremblay-en-France, feu de camp et concert exceptionnel des petits chanteurs à la croix de bois, sous la protection du GIGN… Les palétuviers dorment sous le vent ; La cannelle fauve embaume ton temps…

La sociabilité des classes populaires, la théorie de l’action, c’est compliqué, c’est une affaire de spécialistes, de sociologues… « J’appelle capital symbolique n’importe quelle espèce de capital (économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu’elle est perçue selon des catégories de perception, des principes de vision et de division, des systèmes de classement, des schèmes classificatoires, des schèmes cognitifs, qui sont, au moins pour une part, le produit de l’incorporation des structures objectives du champ considéré, c’est-à-dire la structure de la distribution du capital dans le champ considéré. » (Les Raisons pratiques, Pierre Bourdieu).



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