Accueil Édition Abonné Avril 2021 Saint-Chéron: leur jeunesse et la nôtre

Saint-Chéron: leur jeunesse et la nôtre

Nos jours heureux


Saint-Chéron: leur jeunesse et la nôtre
Le collège du Pont-de-Bois à Saint-Chéron (Essonne), où une adolescente a été poignardée lors d'une rixe entre bandes rivales, 23 février 2021 © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Cyril Bennasar[tooltips content= »L’arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, 2021″](1)[/tooltips] se souvient de ses années de collège à Saint-Chéron, de ses transgressions d’adolescent dans la France Barre-Giscard, des « violences » innocentes de cette époque. Comment, quarante ans plus tard, devant ce même établissement, une collégienne de 14 ans a-t-elle pu être poignardée à mort? Qu’est-ce qui a changé?


Entre la sixième et la troisième, j’étais élève au collège de Saint-Chéron. On ne disait pas collège, on disait CES. On y allait en train et en sortant de la gare, on traversait en troupeau d’élèves une partie du village séparée du centre par le chemin de fer, dans un paysage aux maisons disparates, avec leurs dépendances en bois et en tôles, leurs potagers et leurs arbres fruitiers. Au milieu du chemin, on passait sur un petit pont de pierre et à la fin du parcours, on traversait un petit bois. À hauteur du pont, en descendant sur la berge et en longeant la rivière, on pouvait facilement entrer dans un jardin, en grimpant dans les arbres on cueillait des pommes et, à la fin de l’année scolaire, les premières cerises, et même des figues si mes souvenirs sont bons. Un jour, le propriétaire m’attrapa à la descente d’un pommier et me prit en photo en me menaçant de la montrer à mes parents, voire aux gendarmes, s’il m’y reprenait.

Voilà comment le retraité pensait impressionner les petits voleurs de pommes que nous étions à l’époque, pas si lointaine. On n’y croyait pas trop à son histoire de photo chez les gendarmes pour trois pommes, mais par politesse et par respect pour l’autorité d’un adulte, on faisait semblant et profil bas. On n’en savait rien, mais on était plutôt bien élevés. Le vieux m’avait fait le coup de la photo une première fois quand j’étais en sixième, puis une autre fois un ou deux ans plus tard. Comme j’avais pris de l’assurance, pour le petit oiseau et pour faire rire les copains, j’avais pris la pose. Ça avait mis le bonhomme en colère : « Ah, c’est pour la pose ! » et il m’avait attrapé pour faire mine de me jeter dans la rivière, avant de me chasser à coups de pied aux fesses. Mon audace avait beaucoup impressionné mes camarades et le récit m’avait rendu populaire. On était au maximum de l’insolence connue envers un adulte. On avait 12 ans.

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À l’époque, il y avait déjà des immigrés dans cette France qu’on n’appelait pas encore périphérique. Des Portugais. À l’école, on ne peut pas dire qu’on vivait ensemble. On les appelait les « tiougs », les « portos » ou les « tos ». Pas devant eux, ils nous faisaient peur. Ils avaient deux ou trois ans et faisaient deux ou trois têtes de plus que nous, et surtout n’avaient pas les mêmes mœurs que nous. Ils étaient en cuirs et gominés, écoutaient Johnny et Elvis quand nous étions babas cool, en pataugas et patchouli et que nous écoutions Neil Young et Genesis. Ils ne nous harcelaient pas, ne nous volaient pas, on ne les voyait pas beaucoup, mais ils imposaient leur loi dans l’espace public des élèves. Lorsque nous occupions dans la cour un espace qu’ils convoitaient, ils nous en chassaient. Il faut reconnaître que ceux qui s’exécutaient sans broncher ne risquaient rien, sauf l’humiliation de la fuite, et quand on pense que ce n’est rien, quand on ne voit pas où est le problème parce que la cour est grande et qu’on n’a pas de territoire à défendre, tout va bien. Jamais on ne se serait battus pour un morceau de cour. Il aurait fallu pour ça admettre et surtout formuler qu’il y avait un « eux » et un « nous », et ne pas être encombrés de complexes parce que les mères des uns faisaient le ménage chez celles des autres. Assumer l’existence d’une forme de grégarité, d’un territoire à défendre, avec ses frontières, aurait été perçu comme une vulgaire régression de notre société, une basse trahison des idéaux libertaires qui parfumaient l’air du temps. En fait, nous vivions dix ans après 68 et eux dix ans avant. Ils étaient à la mode de nos parents, ils avaient une génération de retard. Il y avait entre eux et nous une étape de différence dans l’histoire des seventies, autant dire un monde à nos âges. Ils faisaient les caïds, et de toute notre condescendance, nous les méprisions. Nous étions pacifistes, ils étaient violents.

Des menaces mais sans couteau 

Dans notre collège de 600 élèves, ils devaient être une trentaine, répartis dans deux classes allégées et spécialisées : les CPPN et les CPA. Je ne sais pas ce que ça signifie. Depuis, ces sigles ont changé au moins


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Avril 2021 – Causeur #89

Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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