Vous aviez adoré cet Augustin presque saint ? Eh bien, réjouissez-vous, car le revoilà. Et même, ils sont deux. Notre acteur au grand cœur a un frère avec lequel il court les plateaux pour la promo du documentaire consacré à leur grande épopée. Mais comme vous êtes inconstants, chers amis téléspectateurs, et que dans vos pensées, un rebelle chasse l’autre, le film est un bide, Augustin l’a dit d’une voix savamment brisée sur le plateau de Laurent Ruquier, samedi soir. Aller voir Don Quichotte : le film, c’est œuvrer pour une bonne cause puisque les bénéfices seront versés à l’association. (On espère que les SDF n’auront pas à éponger les pertes.)
Cette grande âme était donc venue en découdre avec les cyniques et les indifférents. Et pour commencer, il a décidé de se payer Eric Zemmour. Il faut dire que celui-ci était à l’évidence le seul à ne pas avoir entendu le message augustinien. Les autres invités et le maitre de cérémonie semblaient tellement sous le charme qu’on s’attendait à les voir tous quitter le plateau derrière Augustin jouant du pipeau. Et du pipeau, il en a joué et même surjoué, passant d’un désespoir plein de profondeur à une colère empreinte de gravité. Nul n’aurait songé à l’arrêter alors qu’il tenait enfin le rôle de sa vie (ce qui inspire quelque scepticisme quant à sa carrière d’acteur). Je ne sais pas où il a appris le métier, ce petit Legrand, mais il en fait des tonnes. Il s’est déchaîné, bondissant de son siège pour se déplacer à grandes enjambées, montrant avec forces mimiques et gestes lourdingues à quel point il était incongru d’obliger un personnage aussi considérable que lui à s’adresser à un misérable impudent comme Zemmour. « Il n’y connaît rien ! Il n’y connaît rien ! », hurlait-il, tel un prophète de péplum en s’agitant, toujours en direction de Zemmour : « Arrêtez de faire le sketch ! »
Personne n’a goûté la cocasserie de cette dernière remarque, braillée par un type qui avait visiblement décidé de faire le sien, de sketch. « C’est sa méthode, explique-t-on au ministère du Logement ; en réunion, il lui arrive d’être raisonnable, mais dès qu’il y a des caméras, c’est un autre homme. »
Le rebelle s’identifie à une cause incontestable, ce qui élimine toute possibilité de contestation de sa modeste personne tout entière vouée aux autres. De même qu’attaquer Bob Ménard signifie que l’on est contre la liberté de la presse, critiquer Augustin Legrand veut nécessairement dire que l’on se fiche du sort des sans-abri. Et ce fieffé Zemmour, ce type de droite, qui s’est payé les deux, avait bien mérité de passer un mauvais quart d’heure.
On me dira que les sans-abri ne sont pas une invention, que la Constitution garantit le droit à un logement décent et on aura raison. Faut-il pour autant accepter comme vérité révélée toutes les conclusions des Don Quichotte ? Il est malin, Augustin. Il sait qu’avec la crise qui, on le leur répète assez, frappe tous les Français, le malheur SDF risque bien d’être moins tendance qu’il y a deux ans. Il a donc choisi de marteler sur le thème « ça n’arrive pas qu’aux autres », brandissant avec gourmandise un chiffre terrifiant : 70 % des Français, a-t-il répété, ont droit à un logement social. Traduction, Augustin ne se bat pas pour quelques marginaux désocialisés mais pour chacun d’entre nous. Si le marché se révèle incapable de procurer un logement à 70 % de la population, il faut instaurer au plus vite une dictature des Soviets. Or, renseignement pris, il est parfaitement exact que deux tiers des Français sont éligibles pour l’attribution d’un logement HLM[2. Pour un couple avec deux enfants, le plafond de ressources mensuel est de 4500 €. Entre 4500 et 9000 € de revenu mensuel, le ménage paie un sur-loyer. Et ce n’est qu’au dessus de 9000 € par mois que le ménage est invité à décamper.] – alors même que la moitié d’entre eux est propriétaire. Et face à une telle situation, on voudrait finasser ? Chipoter ? Recompter ? Il faut vraiment avoir le cœur dur d’un Zemmour pour polémiquer sur une telle tragédie.
Même Stéphane Guillon, le méchant professionnel de France Inter, avait des mines inspirées : « Oui, nous ne donnons pas assez, parfois, on passe devant ces gens et ils nous gênent, et nous ne voulons pas les regarder », a-t-il déclaré. J’ai décroché avant qu’il n’explique que les SDF sont des êtres humains. En tout cas, je sais désormais comment on repère un rebelle dans une émission de télévision : tout le monde est d’accord avec lui.
[youtube]ByApjI2iXkA[/youtube]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !