Accueil Médias Saint Augustin Legrand, comédien et rebelle

Saint Augustin Legrand, comédien et rebelle


Saint Augustin Legrand, comédien et rebelle

Je ne sais pas pour vous mais, pour moi, la période est éprouvante. Pas un jour ne se passe sans qu’un grand rebelle, mort ou vif, ne soit proposé à notre admiration. Aux heures de grande écoute, il n’est plus question que de résistance, d’anticonformisme, de combat – contre les préjugés, les conservatismes, les pesanteurs, la pauvreté, la faim dans le monde, les institutions. C’est à se demander pourquoi il est si important de lutter contre un ordre établi que personne ne défend. Ce n’est pas nouveau, juste massif : « l’esprit Canal » règne en maître, y compris à TF1.

Après avoir enduré la canonisation de Coluche, « saint laïque » comme l’a déclaré sans rire un intervenant du « Fou du roi », il a donc fallu supporter celle – plus discrète il est vrai – de Mesrine, ancien ennemi public numéro devenu un rôle-titre[1. Au passage, quand le type qui jouait le rôle de Vincent Cassel était un héros de JT, c’est-à-dire dans les années 1970, on prononçait le « s » de son nom. Aujourd’hui, pas un journaliste, pas un chroniqueur ne commettrait un tel impair : comme si notre saint truand avait du fond des enfers, fait passer la consigne.]. Le cadavre de Mesrine n’était pas encore froid (vous voyez ce que je veux dire) que feu l’ennemi public a dû céder la place sur les écrans à sœur Emmanuelle ensevelie sous un tombereau de superlatifs avant de l’être sous la terre, chaque journaliste y allant de surcroît de sa petite anecdote sur sa rencontre avec l’une des concurrentes les plus sérieuses de Zidane « dans le cœur des Français » comme on dit au JDD.

En plus de faire le bien, elle savait faire des relations publiques, la fiancée du Seigneur. Le lancement post-mortem de ses mémoires devrait figurer dans les annales du marketing. Face aux souvenirs masturbatoires d’une nonne, le dialogue BHL/Houellebecq est soudain apparu comme de la pure branlette. Futée, la sœur savait parfaitement qu’elle n’intéresserait personne avec d’assommantes histoires de miséreux et de brigands convertis à l’amour de leur prochain. (Il faut un Capra pour faire du grand art avec un tel pitch.) Et puis, après une vie en habit de nonne, elle avait envie de se mettre un peu à poil, vous comprenez. Non, je ne blasphème pas, c’est exactement ce qu’elle a dit : « Je ne veux pas, de mon vivant, être nue devant d’autres. Pourtant, je veux me dénuder. » Au nom, évidemment de l’exigence de vérité. La plupart des gens ne pensent pas que la vérité leur impose de raconter à la terre entière leur découverte du touche-pipi, et c’est heureux. En tout cas, sœur Emmanuelle a doublement gagné ses galons de rebelle : d’abord, en demandant au pape d’autoriser la contraception, puis en faisant savoir urbi et orbi que même les nonnes ont un clitoris. Moi ça me gêne un peu cet étalage, mais il paraît que c’est la preuve qu’elle était aussi une femme (à prononcer en appuyant) et même une femme libre. À poil par-delà la mort : une vraie rebelle, sœur Emmanuelle. Après tout, comme le dit une héroïne de Pascale Ferran que je ne remercierai jamais assez pour cette réplique, « il vaut mieux être belle et rebelle que moche et re-moche ».

Peut-être devrais-je en venir au véritable sujet de cet article. Après cette indigestion de rebellitude couronnée, on pouvait espérer être tranquilles pour quelques jours. Macache. Alors vint Augustin Legrand, ami des sans-logis et terreur des puissants. Augustin Legrand, vous vous rappelez ? Les SDF du canal Saint-Martin, les tentes Quechua, les people égarés, les engagements solennels du candidat Sarkozy, le « plus jamais ça » lancé par ce grand échalas à qui on trouva des airs christiques : sur nos écrans, les Don Quichotte avaient assuré le show, donnant à nos fêtes de fin d’année ce supplément d’âme, ce zeste de conscience malheureuse sans lequel le foie gras aurait eu moins bon goût. Sur ce, Augustin avait filé on ne sait où pour un tournage. (suite)



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !
1
2

Article précédent Tente à Paris, détente à Moscou
Article suivant L’Affaire Philip Roth
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération