Salomé Berlemont-Gilles a vingt ans. Elle vient de publier son premier texte, une manière de longue nouvelle, Argentique, dans la collection Plein feu, chez JC Lattès. C’est un coup d’essai qu’elle vient de transformer en coup de maître. La jeune Saint-Quentinoise est issue d’une famille dans laquelle la littérature a toujours été très importante. Sa mère est enseignante et conseillère municipale d’opposition, dans la municipalité tenue par Xavier Bertrand. Court roman? Longue nouvelle? La jeune femme opte pour ce dernier genre et s’empresse de préciser qu’elle travaille actuellement à la rédaction d’un premier roman.
Pour le présent exercice littéraire, elle s’est pliée, avec bonheur et plaisir semble-t-il, aux intentions de cette nouvelle collection Plein feu, « engagée tant sur le plan politique que littéraire. Elle offre aux écrivains une tribune des pensées et un espace de liberté formelle, aux prises avec l’époque. Car le regard de la fiction reste le plus juste, le plus féroce, pour révéler les folies du monde ».
Salomé Berlemont-Gilles – qui avoue beaucoup apprécier Céline, Joyce et Nabokov – a choisi de dépeindre la violence sociale du Mexique où elle a vécu au cours de sa troisième année d’étude. Pour ce faire, elle s’est mise dans la peau d’un jeune Indien, Juan, qui, pour fuir la misère de son village natal, se retrouve dans la capitale tentaculaire. Il se heurtera aux inégalités, aux corruptions en tout genre. Elle dénonce aussi sans ambages le voyeurisme occidental qui se concrétise par des safaris photo qui scrute la pauvreté locale. Une sorte d’indécence que Salomé Berlemont-Gilles n’a pas supportée lors de ses séjours au Mexique.
Plutôt que la distanciation, tentative du leurre de l’objectivité du « il », Salomé incarne Juan; elle dit « je », donne à son narrateur une voix, une aura, un destin qui ne manque ni de force, ni d’authenticité. Elle parvient à éviter, haut la main, l’écueil de la démagogie que le thème de la collection eût pu instiller bien malgré lui.
Parmi les nombreux beaux passages de cette nouvelle, celui-là, poignant : «(…) ils étaient là pour nous prendre en photo. Pour voler l’image de Rosa, ma soeur, qui traînait son chaton mort depuis déjà quelques jours et ils l’attiraient d’un geste de la main pour qu’elle pose devant eux. Le flash s’est déclenché et Rosa avait cligné des yeux, ils s’étaient énervés et avaient demandé à recommencer. Rosa était triste et belle. »
Juan refusera cette vie terrible et humiliante. Il se rendra à la capitale pour tenter d’y trouver une vie meilleure. Faut-il préciser que ce sera encore pire?
Argentique, Salomé Berlemont-Gilles, JC Lattès, 2013.
*Photo : Marco Ugarte/AP/SIPA. AP21403870_000006.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !