Je veux bien croire que Sadiq Khan était le candidat à la mairie de Londres le plus talentueux et le mieux préparé. Et peut-être a-t-il été élu sur son programme. Mais ce qui, en France, a captivé la presse, ce ne sont pas les programmes du travailliste et du conservateur, ce sont leurs pedigrees. Les médias ont résumé la campagne au face à face édifiant du fils d’un conducteur d’autobus pakistanais et du fils d’un milliardaire juif. Deux rejetons s’affrontaient et la victoire du musulman issu d’un milieu défavorisé a été saluée comme un signe d’ouverture.
Pierre Bourdieu a mis en évidence, dans un livre célèbre, le rôle de l’héritage culturel, « capital subtil fait de savoirs, de savoir-faire et de savoir-dire que les enfants des classes favorisées doivent à leur milieu familial » dans la sélection et la reproduction des élites. Il s’en est suivi une véritable chasse aux héritiers qui culmine aujourd’hui avec l’inversion multiculturaliste des critères de la noblesse. L’origine prévaut plus que jamais sur le mérite personnel. Mais la bonne généalogie a changé de définition. L’appartenance à la classe cultivée n’est plus un privilège, c’est désormais un handicap. Bien né est celui qui a grandi dans une banlieue grise, et non le malheureux qui a fait ses études à Eton.[access capability= »lire_inedits »]
Il faut savoir, en outre, qu’entre les damnés musulmans de la terre et les juifs fortunés, le Parti travailliste a depuis longtemps fait son choix. Jeremy Corbyn ne cache pas ses sympathies pour le Hezbollah et le Hamas. L’ancien maire de Londres Ken Livingstone a déclaré tout récemment qu’Hitler avait été sioniste. L’ancien maire de Bradford Kadhim Hussein s’est emporté contre un système d’enseignement qui « ne vous parle que d’Anne Franck et des six millions de sionistes tués par Hitler ». Et, non moins radicale que nos Indigènes de la République, la toute nouvelle présidente de l’Union des étudiants Malia Bouattia a, quant à elle, affirmé que l’université de Birmingham où elle a fait ses études, était « la tête de pont sioniste de l’éducation supérieure en Grande-Bretagne ».
Sadiq Khan – il faut lui faire ce crédit – combat l’antisémitisme qui ravage son parti et toute la gauche anglaise. Mais en commençant ses meetings par la formule « Salam Aleykoum », il accompagne, il accélère même la métamorphose de l’Angleterre en un patchwork de communautés. Est-ce vraiment un destin désirable ?[/access]
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