L’Egyptien, prix Nobel de la paix 1978, est mort assassiné en 1981 après avoir essayé de faire la paix avec Israël. Dans un livre à paraître, Marc Benveniste reconstitue son dialogue avec Menahem Begin.
Le 6 octobre 1981, voici précisément quarante ans – mais aussi huit années jour pour jour après avoir déclenché la guerre du Kippour – Anouar el-Sadate était assassiné par des islamistes égyptiens lors du défilé commémorant le début de ce conflit.
C’était beaucoup trop tôt pour un homme en pleine possession de ses moyens (né le jour de Noël 1918, il avait 63 ans) et exerçant les fonctions de président de la République d’Égypte. C’était beaucoup trop tard pour ses assassins, dont le geste inutile pour leur cause vaine et absurde n’a nullement empêché que le traité de paix israélo-égyptien de mars 1979 soit encore en vigueur aujourd’hui. Son successeur, Hosni Moubarak n’est pas revenu sur la stratégie de Sadate dont il était le second.
L’appel de Menahem Begin
Menahem Begin fut le partenaire de paix d’Anouar el-Sadate. Tout, dans leur relation, reposa sur leur permanente capacité de surmonter les paradoxes. Juif ashkénaze et ardent défenseur des immigrés séfarades souffrant en Israël de l’arrogance et l’athéisme des ashkénazes, Begin devint Premier ministre le 20 juin 1977. À la tête du Likoud et réussissant à former une coalition de gouvernement, il interrompit le règne de la gauche israélienne débuté quasiment trois décennies auparavant. Dès son premier discours à la Knesset, le jour de sa prise de fonctions, Begin lança un appel à la paix aux dirigeants arabes, auquel seul Sadate répondit. On sait que ce discours n’a pas été un exercice rhétorique. Déjà sous son prédécesseur Yitzhak Rabin, Israéliens et Égyptiens (aidés des Marocains) préparaient le terrain en prolongeant les pourparlers entamés suite à la guerre de Kippour.
C’est pourquoi, pour le président égyptien, l’arrivée au pouvoir de la droite israélienne avait semblé, au soir du résultat des élections législatives israéliennes, aggraver encore une situation d’impasse. Begin allait-il saborder l’œuvre de Rabin, Peres et Dayan ? Il n’en fut rien et le maintien de ce dernier dans le gouvernement Begin en tant que ministre des Affaires étrangères en était un signal fort.
Le monde fasciné
Le dialogue personnel entre les deux hommes, que notre chroniqueur Marc Benveniste reconstitue à partir de leurs déclarations officielles (Sadate et Begin, Editions Auteurs du Monde, à paraître le 13 octobre prochain) s’intensifia et une amitié naquit. Ils comprirent très vite qu’ils pouvaient devenir l’un et l’autre de véritables partenaires de paix. Ils partageaient depuis la guerre de Kippour la même certitude que les guerres israélo-arabes ne mènent à rien d’autre qu’à des morts aussi douloureuses qu’inutiles. Les capacités nucléaires israéliennes ont signalé pour les deux leaders la fin d’un cycle des guerres entre États et, cerise sur le gâteau, la voie vers Washington – pilier de la nouvelle stratégie égyptienne – passait par Jérusalem. Le contexte géopolitique était donc mûr.
A lire aussi, Liliane Messika: Un bon film israélien est-il un film anti-israélien?
Cinq mois après l’accession de Begin au pouvoir, Sadate atterrit en Israël sous les yeux fascinés du monde entier et prononça à la Knesset un discours interprété diversement, voire défavorablement, par les officiels israéliens. Mais un jalon décisif de la paix était posé, suivi bientôt de nouvelles rencontres bilatérales.
La relation entre le président égyptien et le Premier ministre israélien se poursuivit et évolua entre confiance et agacement, entre initiatives diplomatiques communes et désaccords de fond. Elle resta solide, ininterrompue et franche. Les accords de Camp David de septembre 1978 en témoignèrent ; ils furent suivis, moins de trois mois plus tard, de la remise du Prix Nobel de la paix aux deux dirigeants.
Téméraire lucidité
Personnalité complexe et opiniâtre, autrefois acteur de théâtre manqué puis devenu Chef d’État aussi autoritaire que doté d’une ligne de conduite affirmée, Anouar el-Sadate conjugua sa volonté inflexible à celle de l’intègre et rigide Menahem Begin. Au sein du monde arabe, Sadate fut ainsi le précurseur d’une démarche pérenne à l’égard d’Israël, qui lui coûta la vie. L’obsession de parvenir à la paix constitua, bien plus que les autres éléments de sa politique et de sa personnalité, le legs qu’il laissa à ses successeurs.
Dans un monde qui a vu, depuis son assassinat, se succéder quatre présidents égyptiens, huit premiers ministres israéliens, sept chefs d’États américains, et advenir l’amplification d’un terrorisme lourdement meurtrier autant que d’innombrables épisodes conflictuels au Moyen-Orient, la trame de la renonciation à la guerre posée par Sadate et Begin n’a nullement été effacée. Elle s’impose comme la structure des relations et des échanges entre l’État d’Israël et la République d’Égypte.
Le funambule progressant au-dessus du précipice empli de haine n’est pas parvenu à rejoindre l’autre bord. Mais Sadate a implanté l’espoir que les bénéfices du dialogue et de la coopération l’emportent sur la vertigineuse folie guerrière. Cela justifie que son nom reste associé au chemin exigeant, dont les allées ne sont ni très droites, ni très peuplées, de la téméraire lucidité visant à terminer les conflits sans fin.
Sadate et Begin, Editions Auteurs du Monde
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !