C’est la fusillade terminée que chaque camp compte ses morts – et, accessoirement, se préoccupe des balles perdues. Le PS observant un relatif cessez-le-feu depuis la nomination officielle de Martine Aubry au poste de Premier secrétaire, le moment est peut-être venu de nous éloigner de la cohue et de dénombrer les victimes collatérales du Congrès de Reims.
A droite, tout d’abord. Le brave et tardivement courageux Nicolas Dupont-Aignan lançait ce week-end son mouvement politique, Debout la République !, qu’il avait eu l’idée de porter sur les fonts baptismaux le jour anniversaire de la naissance du Général de Gaulle. Date idéale, en vérité, pour inviter « souverainistes » et « citoyens » à la rejoindre. Las ! Les médias, déjà peu enclins à lui accorder la couverture qu’il mérite, l’ont ignoré. Les derniers gaullistes de l’UMP, douchés par le spectacle ridicule et suicidaire de la division du PS, n’ont pas esquissé le moindre geste en sa direction. Quant aux fidèles de Chevènement, hypnotisés par les déchirements socialistes, ils guettent les opportunités de recomposition et sont plus que jamais rétifs à renouveler l’aventure du « ni droite, ni gauche ».
Au centre droit campe Bayrou. On l’a tout au long de ce calamiteux week-end présenté comme le grand vainqueur de l’empoignade socialiste. C’était peut-être aller un peu vite en besogne… Car avec l’apparatchik Aubry aux commandes, soutenue par tous les présidentiables (ou désireux de l’être) de la rue de Solferino, il y a fort à parier que tout sera mis en œuvre pour que Ségolène Royal ne soit jamais la candidate officielle d’un parti dont l’appareil se constituera contre elle. Le hold-up de 2006 sera impossible à réitérer. Or donc, François Bayrou peut légitimement en tirer les conséquences suivantes : en 2012, les socialistes auront deux candidats, celui du PS et Ségolène Royal. L’un, officiel, jouera la carte « à gauche toute ! » ; l’autre cherchera à fédérer les socialistes « modernes » et le centre-gauche. Et viendra donc manger la laine sur le dos du candidat du Modem, qui escomptait jusque lors une primaire entre lui et la championne d’un PS fixé au premier tour à gauche. En l’état, les chances de parvenir au second tour se sont donc considérablement amenuisées pour Bayrou. Il le sait pertinemment, lui qui grimaçait ce week-end aux « Félicitations ! » qu’on lui adressait.
Mais la guerre sœuricide au sein du PS fera aussi des morts à gauche. Au Parti Communiste, pour commencer, ou à ce qu’il en reste, confronté à la certitude de passer sous les 1 %[1. Pourquoi, du reste, dit-on « les » 1 % ? Un politologue dans la salle ?]. La cause ? La concurrence, là encore, camarade… Comment une formation exsangue, ruinée, démoralisée, pourrait-elle supporter et la naissance du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et le gauchissement du PS ? Car il semble probable que sous la férule de Martine Aubry la direction du PS optera pour une ligne permettant à la fois de ressouder un parti traumatisé autour de ses « fondamentaux » (comme dirait Guy Roux) et de faire apparaître Royal comme une télévangéliste de centre gauche. Le NPA de Besancenot, fort d’une dynamique qui lui rallie la banlieue et l’ultra-gauche, fort d’une aura médiatique qui ne se dément pas, ne laissera par ailleurs aucun oxygène à un PCF honni. Un PCF sans doute mort, et pour de bon cette fois-ci, au congrès de Reims.
Reste la dernière victime collatérale : le mouvement social. A l’orée d’une crise de l’emploi dont on anticipe mal l’ampleur, mais dont on est d’ores et déjà certain qu’elle laissera sur le carreau des centaines de milliers de travailleurs, précaires ou pas, et qu’elle bloquera toute augmentation des salaires, le monde du travail aurait plus que jamais eu besoin d’un grand parti de gauche pour l’épauler. Retraite à 70 ans, privatisation de la Poste, amaigrissement de la fonction publique : de quel poids pèsera un PS divisé, recuit de haines, obsédé par la présidentielle ?
Nicolas Sarkozy s’était donc lourdement trompé en pensant pouvoir éclipser le congrès de Reims par la tenue du G20 de Washington à la même date. Il s’est trompé, et c’est pour cela qu’il a gagné : comment pouvait-il imaginer que les socialistes organiseraient une telle déflagration, provoqueraient une telle dévastation chez les adversaires du président de la République ?
Photo de une : Martine Aubry et Ségolène Royal, janvier 2007, Parti socialiste, flickr.com
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