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Liban: comment l’affaire Hariri annonce la France de demain

Trois leçons à retenir


Liban: comment l’affaire Hariri annonce la France de demain
Saad Hariri et Emmanuel Macron à l'Elysée, novembre 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22131278_000032.

La démission de Saad Hariri depuis Ryad, sa halte à Paris puis son retour au Liban illustrent la guerre froide que se livrent l’Arabie Saoudite et l’Iran. Mais aux racines du mal, se trouvent les germes d’une guerre civile jamais digérée à Beyrouth : communautarisme, ingérences étrangères et allégeances concurrentes entre citoyens déterminés par leur origine ethnoconfessionnelle minent l’unité du pays. Autant de maux que la France connaît à son tour…


Le Premier ministre libanais Saad Hariri est rentré au Liban le 22 novembre, pour la fête de l’indépendance de son pays, après un séjour en Arabie saoudite d’où il avait annoncé sa démission le 4 novembre, accusant le Hezbollah et l’Iran de mainmise sur le Liban et disant craindre pour sa vie.

Tectonique des plaques libanaise

En réponse, le Hezbollah et l’Iran ont naturellement protesté de leurs bonnes intentions et accusé l’Arabie saoudite d’avoir forcé la démission de Hariri. Le président Aoun de son côté accusant l’Arabie saoudite de détenir Hariri contre son gré.

Cette montée des tensions fragilise le Liban déjà soumis à de fortes tensions internes entre communautés religieuses, avec un afflux déstabilisant de réfugiés, les risques récurrents depuis 2011 d’extension du conflit syrien sur son sol et la participation du Hezbollah, parti politique libanais et force militaire, à la guerre civile syrienne en soutien de Assad.

Dès le retour de Hariri, qui a annoncé suspendre sa démission, le thème de la « distanciation par rapport aux conflits de la région » a été au cœur de ses interventions, soulignant qu’elle concernait toutes les composantes politiques, visant ainsi au premier chef le Hezbollah. La distanciation est bien le problème du Liban depuis l’exode palestinien et les intrusions syriennes. Mais il faudrait aussi ajouter la distanciation par rapport aux idéologies confessionnelles. Venons-en à la France.

L’autre pays du communautarisme

L’invitation de Hariri par la France lui a permis de quitter l’Arabie saoudite, de prendre du recul, de dialoguer avec le président français qui veut aussi jouer un rôle diplomatique auprès de l’Iran et de l’Arabie saoudite pour résoudre cette crise. C’est bien et les Libanais nous en sont reconnaissants.

Mais au-delà de ce succès de la diplomatie marquant un retour de la France au Proche-Orient, il faut tirer, pour nous Français, les leçons de cette crise.

Le Liban souffre parce qu’il rassemble des communautés à identités religieuses différentes auxquelles le pacte national libanais (1943) n’a pu offrir un cadre de cohabitation pérenne. Le premier principe de cet accord affirmant l’indépendance du Liban vis à vis des États étrangers n’a finalement été mis en application que par la seule communauté chrétienne de laquelle la France, puissance traditionnellement protectrice, a pris ses distances. Iran (Hezbollah), Syrie, auparavant avec l’arabité et désormais l’Arabie saoudite qui ajoute le religieux à cette arabité se disputent l’influence sur le Liban. Une première leçon pour la France où le communautarisme ne cesse de s’affirmer sur des fondements religieux (islam) et ethniques qui reçoivent le soutien de pays étrangers.

La France a rendu service à l’Arabie

Le Yémen au sud et le Liban au nord, tous deux pays divisés selon deux allégeances confessionnelles et donc politiques (sunnites versus chiites – ou apparentés) sont, à l’instar de la Syrie, les arènes parfaites pour la guerre par procuration que se livrent Iran et Arabie saoudite. En exfiltrant Hariri, la France a non seulement rendu un service au Liban mais aussi à l’Arabie saoudite. Et elle a de ce fait pris parti dans le conflit. Certes, le rendez-vous à venir du président Macron avec l’Iran pourrait rééquilibrer les relations, surtout en contrebalançant l’engagement sans équivoque des États-Unis derrière l’Arabie saoudite. Avec la chute de l’État islamique, la guerre au Proche Orient pourrait ne marquer qu’une pause et, pour suivre sans accident cet étroit chemin de la diplomatie, la France doit dialoguer avec tous et surtout renouer le dialogue avec la Russie. La politique internationale des contrats juteux est une chose mais, même dans ce cas, la diversification des clients est recommandée.

Allégeance diverses

Saad Hariri a aussi la nationalité saoudienne, et famille et fortune dans ce pays. En dépit des dénégations des uns et des autres, l’Arabie saoudite et le prince Mohamed Ben Salmane ont prise sur lui. Dès le 1er novembre, la démission de Hariri était presque annoncée par un ministre saoudien : « Quelque chose d’extraordinaire va se produire ». Une troisième leçon à tirer pour notre pays qui, dans un grand élan d’altruisme naïf, semble affectionner de nommer des responsables politiques ayant la double nationalité à des postes de haut niveau, s’enorgueillit de compter des millions de bi-nationaux (entre et 5 millions selon les sources) et est régulièrement taraudé par le prurit du « vote des étrangers » (non-ressortissants de l’UE). Le Liban nous apprend ici que l’indépendance n’est jamais réellement acquise dans un pays aux citoyennetés et confessions à filiations exogènes. Un député libanais a d’ailleurs émis un gazouillis : « Bonne fête de la dépendance ».

Il est heureux que la France puisse faire un retour diplomatique au Proche-Orient et aider le Liban. Mais ce dynamisme de bon aloi pour les grandes causes doit impérativement s’accompagner d’un regard critique sur notre propre vulnérabilité. Un regard critique d’autant plus affûté que notre situation présente de plus en plus des caractéristiques libanaises.

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est Général de division (2° S) et consultant défense et relations internationales

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