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Rwanda, le débat entravé

Entretien avec Maître Philippe Prigent


Philippe Prigent reproche aux télévisions françaises d’interdire d’antenne son client Charles Onana.


Causeur. Vous avez déposé deux plaintes, l’une auprès du CSA l’autre auprès du procureur de Paris, contre les chaînes de télévisions publiques françaises et Marie-Christine Saragosse, la patronne de France Médias Monde. En quoi consistent ces plaintes ?  

Philippe Prigent. La plainte auprès du CSA concerne la violation de l’obligation de pluralisme des opinions politiques, pourtant prévue par la loi audiovisuel et les conventions d’émission conclues entre les sociétés du groupe France Medias Monde et le CSA. En droit, les sociétés de France Medias Monde comme les autres médias régulés doivent respecter le pluralisme des opinions politiques. 

Or, le pluralisme suppose d’être au moins deux. Au sujet des massacres de Tutsis perpétrés en 1994 au Rwanda, deux thèses s’opposent. La première est que le génocide résulte d’un plan programmé de longue date par des dirigeants hutus avec la complicité de nazis que seraient les soldats et dirigeants français, et que ce génocide prévu de longue date serait survenu spécifiquement en 1994, pour des raisons incompréhensibles. 

La thèse adverse, soutenue notamment par mon client M. Onana, est que le Rwanda était en proie à une guerre civile à base notamment ethnique et que les massacres ont été largement spontanés, comme c’était le cas en Europe centrale et orientale lors des nombreux pogroms à travers les siècles. L’assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi a mis le feu aux poudres, car tous les ingrédients d’une catastrophe étaient malheureusement réunis de longue date, et on peut s’interroger sérieusement sur le rôle de certains dirigeants tutsis actuellement au pouvoir dans cet attentat. C’était d’ailleurs la conclusion du célèbre juge Bruguière. 

Or la direction de France Medias Monde refuse expressément l’accès à l’antenne aux personnes soutenant la seconde thèse. La plainte auprès du Procureur de la République repose sur le délit de discrimination dans l’accès à un service en fonction des opinions politiques. 

Comme vous le devinez, l’accès à la radio et à la télévision est un service précieux pour faire connaître ses idées dans un débat politique et faire connaître ses livres. Or le Code pénal interdit de différencier dans l’accès à un service en fonction des opinions politiques, de l’orientation sexuelle, de l’appartenance raciale supposée, etc. C’est pourquoi un média ne peut refuser l’accès à l’antenne à une personne en raison de ses opinions politiques. C’est toutefois le choix de la direction de France Medias Monde, qui revendique par écrit avoir exclu M. Onana de ses antennes en raison de sa position au sujet du génocide survenu au Rwanda en 1994. 

N’est-ce pas le droit d’une rédaction – d’un média public ou privé – de décider des invités et donc de ne pas inviter et donner la parole à certaines personnes ? Que dit la loi sur le paramètre de discrétion des journalistes sur ce sujet ? Y a-t-il une différence entre le public et le privé ?

Non, ce n’est pas le droit. Il existe deux types de médias : les médias indépendants (comme les journaux et les chaînes de télévision internet) et les media régulés (comme les chaînes de télévision TNT et les radios). La différence fondamentale entre les deux types de médias est que les premiers n’ont pas besoin de l’État, les seconds, si.  Tout le monde peut créer une télévision en ligne ou lancer un nouveau journal sans aide de l’État et sans avoir besoin de son intervention. Par exemple, Causeur s’est lancé tout seul. 

En revanche, il est impossible d’émettre sur une fréquence radio ou sur un canal de télévision TNT sans intervention publique, car si tout le monde émettait comme il le souhaite les fréquences seraient brouillées et inaudibles. Si tout le monde tente d’émettre sur le canal de télévision n° 15, par exemple, il n’y a plus d’émission possible, car les signaux se brouillent. C’est pourquoi la télévision et la radio ne fonctionnent que si l’État réserve les fréquences à certains opérateurs en leur accordant un droit d’émission exclusif. Comme vous le devinez, ces droits d’émission exclusifs sont extrêmement précieux et ils sont la condition sine qua non d’existence de ces médias, privés ou publics. Une entreprise normale ne bénéficie pas d’un tel monopole accordé par l’État. Par exemple, Causeur n’a pas d’emplacement réservé dans tous les kiosques de France. 

La contrepartie de l’intervention de l’État pour accorder un droit exclusif est le respect du pluralisme, car l’État lui-même y est tenu. Quand l’État concède quelque chose à une entité publique ou privée, il transmet les obligations qui vont avec la chose concédée. Par exemple, les sociétés auxquelles des autoroutes ont été concédées doivent laisser tous les clients potentiels y circuler, sans en refuserl  l’accès en raison de leurs opinions politiques, de leur sexe, de leur religion, etc. 

La loi audiovisuel de 1986 et les conventions d’émission conclues entre le CSA et les divers médias régulés leur imposent expressément de respecter le pluralisme des opinions politiques. C’est d’ailleurs la raison d’être du CSA. Une rédaction peut tout à fait décider de ne pas inviter une personne en particulier à condition d’en inviter une autre qui pense la même chose. En revanche, refuser la parole à un camp dans un débat politique viole la loi et la convention qui autorise le média à utiliser sa fréquence d’émission. La règle s’applique aux media privés comme aux médias publics mais elle est encore plus exigeante envers les médias publics, tenus à l’exemplarité car ils sont de surcroit financés par les impôts de tous. En outre les médias ne sont pas au-dessus du Code pénal, qui fort heureusement s’applique à tous. Dès lors qu’un média régulé fournit un service grâce à une concession par l’État, il ne saurait refuser l’accès à l’antenne aux intéressés – de la même manière qu’une société concessionnaire d’autoroutes ne peut pas refuser l’accès aux femmes ou aux personnes qui votent contre la privatisation des autoroutes.

Pourquoi l’accès à ces médias a été refusé à votre client ? 

Le président de France Media Monde a répondu par écrit à des associations exigeant la censure de mon client qu’elle n’inviterait pas mon client dans les médias dépendant de son groupe parce qu’il tiendrait des « propos négationnistes ». Quel dommage qu’il n’y ait pas de juriste chez France Media Monde car un professionnel du droit aurait fait observer à Mme Saragosse que le négationnisme suppose de nier les faits or justement M. Onana expose que de très nombreux Tutsis ont été massacrés. 

Quel est le statut légal du génocide qui a  eu lieu à Rwanda entre avril et juillet 1994 ? Est-il légal en France de le nier au même titre que la Shoah et le génocide arménien ?

En droit, il est illégal de nier les massacres perpétrés sur les Tutsis au Rwanda entre avril et juillet 1994. La négation de ces massacres est une infraction pénale. 

Est-ce que M. Onana est un négationniste ?    

Non. Tout d’abord, la relativisation de l’extermination des juifs d’Europe par l’Allemagne nazie est très problématique. La sauvagerie antisémite allemande est unique dans l’histoire humaine récente et on ne saurait nier sa terrible spécificité. Ensuite, le négationnisme consiste à nier les faits. Or M. Onana ne nie pas les massacres commis au Rwanda au printemps 1994. 

Quand un spécialiste vous dit « oui, la pandémie tue », il faut être d’une rare mauvaise foi pour lui reprocher de nier l’existence d’une pandémie. On peut désapprouver son analyse des causes et des responsabilités, pas lui reprocher de nier ce qu’il affirme. 

Je constate que vous évitez le terme de « génocide » pour qualifier le massacre de Tutsis au Rwanda en 1994. Est-ce cela le fond de l’affaire ? Est-ce que M. Onana est interdit d’antenne en France car il ne pense pas qu’il s’agit d’un génocide ?

Je n’évite pas le terme de génocide, j’employais le terme massacres parce qu’il est concret tandis que génocide est une qualification juridique, largement indépendante du nombre de victimes en droit actuel. M. Onana pense qu’il y a eu un génocide et moi aussi.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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