Propos recueillis par Théophane Le Méné et Gil Mihaely
Officier parachutiste de la Légion étrangère, Jacques Hogard a effectué de nombreuses missions en Afrique, notamment à Djibouti, en Somalie, au Yémen ainsi qu’au Rwanda, en 1994, en tant que commandant du groupement de Légion étrangère au sein de l’opération « Turquoise ». Sa dernière mission s’est déroulée au Kosovo en 1999. Il est l’auteur d’un livre-témoignage sur « Turquoise », Les Larmes de l’honneur, 60 jours dans la tourmente du Rwanda, et publiera prochainement L’Europe est morte à Pristina, guerre au Kosovo, printemps-été 1999.
Causeur. Vingt ans après le génocide rwandais, Kigali accuse la France de complicité, accusation que nombre de médias français s’empressent de reprendre à leur compte…
Jacques Hogard. Ces accusations sont totalement fantasmatiques. Alors que, dès 1990, la France est le pays qui a le plus fait pour essayer de rétablir l’équilibre et la paix dans la région, c’est tout simplement scandaleux. D’autant que les accusations viennent principalement de Paul Kagamé, l’actuel président du Rwanda, l’homme qui a planifié l’attentat du 6 avril 1994 contre son prédécesseur Habyarimana. Or, c’est cet événement qui a, de fait, engendré les massacres et légitimé sa conquête du pouvoir par la force.
Mais les commanditaires de l’attentat n’ont jamais été clairement identifiés !
Comme Michael Hourigan, ancien procureur du Tribunal pénal international, comme le juge Bruguière, je suis convaincu que le Front patriotique rwandais de Paul Kagamé a organisé l’attentat. S’il en était autrement, le président Kagamé en aurait apporté la preuve depuis longtemps… Par ailleurs, nombre de ses anciens compagnons l’ont reconnu au prix de leur vie, comme le colonel tutsi Karegeya, assassiné en janvier en Afrique du Sud. Kagamé, homme remarquablement intelligent et cynique, savait qu’il ne pouvait conquérir le pouvoir que par la force car sa minorité ethnique, les Tutsi, représente à peine 20% de la population. L’attentat du 6 avril a créé les conditions pour son coup de force. [access capability= »lire_inedits »]
En fomentant cet attentat, imaginait-il le génocide qui allait suivre ?
Paul Kagamé savait pertinemment que des massacres de grande ampleur allaient être commis. Il avait d’ailleurs contribué à en créer les conditions en massacrant massivement des paysans hutu dans le nord-est du pays. Ces différents massacres interethniques n’étaient, hélas, pas nouveaux. En 1959, à l’indépendance, lorsque les Hutu ont accédé au pouvoir, ils ont assassiné les Tutsi en masse, ce qui a d’ailleurs provoqué l’exode massif vers l’Ouganda de nombreux membres de cette minorité, comme Paul Kagamé. Cependant, je ne pense pas que ce dernier ait pu imaginer l’ampleur de ce que cet attentat allait déclencher.
Comment la France s’est-elle trouvée impliquée dans ce conflit ?
Quand, début octobre 1990, le FPR, armé et équipé par l’Ouganda, envahit le nord-est du Rwanda, le président rwandais Habyarimana, au pouvoir depuis 1974, appelle la France au secours car les deux pays ont signé, quinze ans auparavant, des accords de coopération militaire. Dans le cadre de ces accords, Mitterrand décide d’aider le régime en remettant l’armée rwandaise sur pied. D’octobre 1990 à octobre 1993, l’armée française est présente au Rwanda pour aider son gouvernement à se défendre contre une invasion, ce que de nombreux Tutsi, Paul Kagamé en tête, interprètent comme un soutien aux Hutu contre leur ethnie…
Était-ce une bonne décision ?
Avant de juger, on oublie trop souvent que, dans le droit fil du discours de La Baule, en juin 1990, François Mitterrand avait conditionné le soutien français à l’accélération de la démocratisation de l’État rwandais, l’introduction du multipartisme et l’ouverture de négociations avec le FPR ! Trois ans plus tard, on aurait pu croire que cela avait plutôt bien marché car ce processus a abouti aux accords d’Arusha d’août 1993, qui dépossédaient Habyarimana de son pouvoir réel. La France n’a donc pas été l’alliée des extrémistes et du « Hutu Power ». Quand nos troupes se sont retirées du Rwanda, à l’automne 1993, nous avons passé la main à l’ONU. L’armée française n’a donc pas pu « assister impuissante au génocide de 800 000 Tutsi » comme l’a écrit récemment Le Monde, pour la bonne et simple raison qu’elle avait alors quitté le pays depuis des mois…
Quel rôle a joué l’ONU dans la prévention du génocide ?
Un rôle nul, sinon négatif ! L’inaction onusienne s’est révélée catastrophique. Sur place, la Minuar (la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda) était commandée par le général canadien Roméo Dallaire, qui venait de découvrir l’Afrique. Tombé amoureux d’une jeune et belle Tutsi, il a montré un soutien inconditionnel au FPR, alors que le succès de son mandat dépendait de son impartialité. Pire encore, huit jours après le déclenchement du génocide, quand il incombait à la Minuar de faire cesser les massacres, l’ONU a décidé de rappeler 90% de ses effectifs ! En même temps, pendant les deux mois et demi qui ont suivi, la « communauté internationale » s’est acharnée à repousser toutes les propositions françaises d’intervention.
Finalement, début juin, l’ONU autorisait la France à intervenir…
Oui, c’est l’opération « Turquoise » qui a mobilisé 2 000 soldats français. J’y ai moi-même commandé 400 hommes dans une région aussi étendue qu’un département français. L’effectif était dérisoire. Néanmoins, les massacres à grande ampleur ont cessé. Nous avons sauvé des milliers de rescapés tutsi qui se cachaient encore, fixé sur place une grande partie des réfugiés hutu qui quittaient leur pays en masse devant l’avancée des forces du FPR, mis en place une administration intérimaire, assuré la distribution d’eau potable, d’électricité, de soins, de vivres, remis en route les centres de santé, et même la prison !
Comment avez-vous géré les rapports conflictuels entre Hutu et Tutsi ?
Nous nous sommes mis à rechercher les Tutsi pour les regrouper dans le camp de réfugiés de Nyarushishi, créé par la Croix-Rouge. Il a d’abord fallu les protéger des extrémistes hutu. Puis, face à l’avancée du FPR, nous avons dû protéger l’immense vague de réfugiés hutu des rescapés tutsi qui voulaient les attaquer pour se venger ! Au total, nous avons réussi à convaincre un million et demi, peut-être deux millions de Hutu, de rester dans leur pays. Dans les années qui ont suivi, les quelques centaines de milliers de Hutu partis s’installer dans les camps zaïrois ont été les victimes de massacres à grande échelle perpétrés entre 1995 et1997 par les troupes de Kagamé… dans l’indifférence de la communauté internationale.
Avez-vous arrêté des assassins qui ont participé au génocide ?
Oui. Ceux que nous avons pu arrêter en train de tuer étaient des gens incultes, totalement terrorisés par les Tutsi. Ils avaient beau être baptisés et aller à la messe, leur christianisme n’était qu’un vernis. Les génocidaires ne sont pas des militaires aguerris mais des paysans frustes armés de houes et de machettes : il faut l’avoir en tête quand on accuse la France d’avoir formé les tueurs entre 1990 et1993 !
Le cas du capitaine Pascal Simbikangwa[1. Ancien capitaine des services de renseignements rwandais, Pascal Simbikangwa a été condamné en mars 2014 par la cour d’assise de Paris pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Selon la cour, il a participé à l’élaboration et à la mise en exécution du génocide des Tutsi en distribuant des armes aux miliciens et donnant des ordres aux hommes postés aux barrières de Kigali. Pascal Simbikangwa a fait appel.], reconnu coupable de génocide et de complicité de crime contre l’humanité par la cour d’assises de Paris, en mars, semble contredire votre lecture des événements…
Cet ancien officier de renseignement hutu est un piètre personnage. Son procès a été instrumentalisé par certains groupes de pression pour tenter de prouver la collusion du « Hutu Power » avec la France. Cet homme qui n’avait pas le quart du pouvoir qu’on lui a attribué est un bouc émissaire et surtout un prétexte pour mieux préparer médiatiquement le 20e anniversaire du génocide en reprenant le procès à charge contre la France et son armée ![/access]
*Photo : NICOLAS JOSE/SIPA. 00249540_000005.
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