Rwanda : Français, on vous ment!


Rwanda : Français, on vous ment!

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Vingt ans après le génocide qui a coûté la vie à des centaines de milliers de Tutsi et de Hutu modérés au Rwanda, l’histoire réécrite par Paul Kagamé est en passe de devenir une vérité officielle pour nombre de commentateurs français. Selon le régime rwandais et ses thuriféraires français, l’attentat du 6 avril 1994, au cours duquel l’avion qui ramenait à Kigali le président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira a été abattu, aurait été perpétré par des extrémistes hutu qui cherchaient à empêcher l’application des accords de réconciliation d’Arusha. Ce qui permet de désigner la France, allié du gouvernement de l’époque, comme complice, voire comme responsable du génocide.
Comme à leur habitude, nombre de médias, trop heureux de pouvoir alourdir le dossier d’une France criminelle en plus d’être coloniale, se sont rués sur ces allégations. Rony Brauman s’était déjà insurgé, dans nos colonnes, contre ce récit mensonger qui permet en outre d’exonérer Paul Kagamé. De nombreux éléments indiquent en effet que le Front patriotique rwandais (FPR) et Kagamé sont impliqués dans l’attentat, donc dans le déclenchement du génocide ; quant aux crimes commis depuis par le régime actuel, ils sont avérés. C’est en tout cas la conviction de Théogène Rudasingwa, ancien bras droit de Paul Kagamé, commandant des forces armées du FPR pendant le funeste printemps de 1994. Car comme lui, nous pensons que les victimes ont d’abord droit à la vérité. Elisabeth Lévy et Gil Mihaely

Je tiens tout d’abord à vous dire combien j’ai été touché par la ferveur avec laquelle vous avez commémoré le vingtième anniversaire du génocide et des massacres de 1994, ces temps d’horreur pendant lesquels des Rwandais tuaient des Rwandais…

Mais je tiens aussi à vous dire que je ne comprends pas pourquoi vous n’entendez pas ce que mes amis et moi disons sur l’attentat contre le président Habyarimana, sur l’histoire du Rwanda et sur la nature du régime de Paul Kagamé. Je ne comprends pas davantage vos silences sur le meurtre par strangulation, le 31 décembre 2013, de Patrick Karegeya, et sur la troisième tentative d’assassinat, à Johannesburg, du général Faustin Kayumba Nyamwasa. Même les amis américains de Paul Kagamé ont manifesté leur réprobation…

Je suis tutsi et il vous sera donc difficile de me traiter de révisionniste ou de négationniste, comme vous le faites de tous ceux qui ne partagent pas votre vision de la tragédie rwandaise – sans pour autant nier qu’il y ait eu génocide. J’ai longtemps été proche de Paul Kagamé et même l’un de ses confidents, j’ai fondé avec lui le FPR, j’ai été l’un de ses proches collaborateurs entre 1990 et 1994, secrétaire général du FPR en 1994, j’ai été son directeur de cabinet, son ambassadeur aux États-Unis d’Amérique. Je crois donc disposer d’éléments objectifs et incontestables pour analyser les crimes perpétrés au Rwanda et dans les pays voisins. Je ne comprends donc pas pourquoi vous relayez sans aucun recul le récit construit par Paul Kagamé et ses thuriféraires.

D’abord l’attentat. « Je m’en fous éperdument », a répondu un jour Kagamé à un journaliste qui l’interrogeait sur le facteur déclenchant du génocide.[access capability= »lire_inedits »] En ce qui me concerne, je peux témoigner que Paul Kagamé m’a confié être le responsable des ordres donnés, de la mise en place du plan et de son exécution. Quel était son but ? Cet attentat lui a permis d’accéder au pouvoir, en remportant la guerre civile et en rendant inapplicable l’accord de paix et de partage du pouvoir décidé à Arusha. Au final, ayant conquis le pouvoir par la violence, exercée par et pour une minorité, Kagamé a dû baser sa légitimité sur la construction d’un récit imaginaire. Dans ce récit, ce sont des extrémistes hutu qui ont abattu l’avion du président Habyarimana afin d’avoir un prétexte pour commencer le génocide. Dans ce récit, la colonisation belge est le parent idéologique des divisions ethniques et de l’idéologie génocidaire. Dans ce récit, les Français ont aidé les Hutu à commettre le génocide, et la communauté internationale a abandonné le Rwanda.

Selon cette histoire pieuse, les Rwandais ne doivent le phénoménal redressement du Rwanda qu’au FPR et à son héroïque président. Pour faire triompher cette thèse, Paul Kagamé culpabilise et intimide les étrangers, en particulier en France. Un réseau complexe constitué de propagandistes locaux et de quelques Rwandais vend l’image et le récit d’un Kagamé seul héros et sauveur du Rwanda… Et le disculpe de toute responsabilité pour les crimes qu’il a commis et commet au Rwanda, en RDC et ailleurs…Consciemment ou non, vous, journalistes et intellectuels français, vous risquez d’être instrumentalisés.

Pourquoi vous acharnez-vous contre les politiques et les militaires de votre pays, qui est le seul au monde à avoir tenté d’arrêter l’enchaînement abominable du génocide et des massacres ? Accuser la France de « complicité de génocide » est tout simplement aberrant et contraire et à la vérité.

Il n’est pourtant pas compliqué d’avoir accès aux sources qui vous permettraient d’analyser lucidement la vraie nature du régime du FPR et de comprendre que Kagamé utilise la violence et la guerre comme instruments de politique intérieure et étrangère. À titre d’exemples : l’attentat contre l’avion du président Habyarimana ; l’assassinat des évêques rwandais et des prêtres en juin 1994 ; les massacres généralisés exécutés par le FPR en 1994,comme l’a décrit le Rapport Robert Gersony (UNHCR); les massacres de Kibeho (1995) ; les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et même de possibles actes de génocide contre les Hutu décrits dans le Rapport Mapping de l’ONU en 2010 ; les assassinats d’opposants politiques au Rwanda et à l’étranger, notamment de ceux qui disent la vérité sur l’attentat…

Les militaires constituent l’épine dorsale du gouvernement rwandais, les civils en son sein n’étant que des serviteurs technocratiques de l’armée. Et, à l’intérieur des institutions, Kagamé a créé une armée dans l’armée (Garde républicaine et Forces spéciales). Les militaires sont déployés à travers le monde, dans les ambassades. Ils exercent de nombreuses fonctions politiques au nom du FPR ; chargés de la mobilisation, ils doivent convaincre ou contraindre les leaders d’opinion à rejoindre et servir le FPR. Les officiers supérieurs contrôlent les fonctionnaires de l’administration locale, eux-mêmes nommés par le FPR. Les militaires organisent la fraude des élections au profit du FPR. Des officiers sont chargés d’assurer que les opposants au régime, où qu’ils soient, soient identifiés et supprimés. Faut-il le préciser, presque tous les officiers sont tutsi !

Les institutions officielles du gouvernement (Parlement, pouvoir judiciaire et exécutif) sont situées tout en bas de la structure de pouvoir au Rwanda. Les Hutu qui ont les faveurs du système sont surtout installés au sein du gouvernement formel. C’est-à-dire qu’ils ne sont que des technocrates mettant en œuvre les politiques des autres et dépourvus d’influence réelle. Le FPR s’assure que les principaux services gouvernementaux sont confiés à des Tutsi de toute confiance.

Ayant lu vos papiers, vos interventions, ayant connaissance de vos prises de parole, je sais que certains d’entre vous seront choqués par le portrait que je brosse aujourd’hui d’un homme que j’ai bien connu. Et pourtant, Kagamé s’est avéré être un tueur en série, un tueur de masse, n’éprouvant ni regrets ni remords pour les actes de violence commis directement par lui ou par d’autres agissant sur ses instructions. Il le dit publiquement : pour lui, ses adversaires doivent mourir.

Comment expliquer une telle dérive ? Kagamé est condamné à fuir son passé. Il s’est construit de toutes pièces une image d’homme frugal, incorruptible ; il est le héros militaire qui a arrêté le génocide. La préservation de cette fausse image est essentielle pour assurer la pérennité de son pouvoir. Aussi traque-t-il tous ceux qui détiennent des informations précises sur les assassinats, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis  en Ouganda, au Rwanda et en RDC. Kagamé redoute plus que tout d’avoir à répondre de son passé criminel. Voilà pourquoi il est déterminé à se maintenir au pouvoir à tout prix, y compris en assassinant les opposants politiques, surtout ceux qui le connaissent bien.

J’ai trop de respect pour la liberté de la presse et trop d’admiration pour la patrie de la Déclaration des droits de l’homme pour penser que vos positions actuelles sur le Rwanda sont irréversibles. Je sais qu’elles s’expliquent par votre compassion à l’égard des martyrs rwandais. Cela vous honore. C’est une émotion louable et respectable, qui vous inspire une attitude militante au nom du « Plus jamais ça ! ». Après ce que mon pays a enduré, je partage ce vœu. Mais je suis convaincu que la seule façon de le réaliser est d’établir la vérité. Même si elle gêne.[/access]

 *Photo : BOUJU/A.P./SIPA. 00490681_000001.

Eté 2014 #15

Article extrait du Magazine Causeur



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