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Russie : au temps béni des politrouki

Une vieille institution soviétique refait surface


Russie : au temps béni des politrouki

Évènement majeur survenu dans l’ombre de la grand-messe footballistique estivale, le Kremlin vient de procéder par la fenêtre à ce qui pourrait bien s’apparenter à la restauration en grande pompe d’une de ses plus augustes traditions léninistes. Près d’un siècle après sa mise en place par le pouvoir révolutionnaire bolchevique, un oukaze de Vladimir Poutine daté du 30 juillet dernier est en effet venu très symboliquement ressusciter l’antique institution des commissaires politiques au sein de l’armée russe. À l’Est, on fait du neuf avec l’ancien. Passée quasiment inaperçue dans la presse française, cette réforme est pourtant révélatrice du caractère hybride d’une Russie contemporaine où la praxis politique héritée de l’expérience soviétique reste prépondérante, cette réminiscence revue et corrigée témoignant en même temps d’un certain durcissement des rapports entretenus par l’Empire des Tsars avec l’Ouest.

« Une guerre de l’information non dissimulée et franchement cynique est menée sur tous les fronts contre notre pays »

Le décret présidentiel annonce clairement la couleur : la « Direction militaro-politique centrale des Forces armées de la Fédération de Russie » (GVPU) nouvellement créée a pour objectif d’accomplir un travail d’ordre « militaire et patriotique » au sein de l’armée russe. Dans cette optique, le vieux KGBiste de la place Rouge a nommé le général-colonel Andreï Kartapolov, ancien homme-lige de l’intervention moscovite en Syrie, à la tête de la GVPU dont le sobre intitulé fait d’ailleurs explicitement référence à la « Direction politique centrale des Forces armées de l’URSS » (GlavPur) qui était jadis responsable de l’embrigadement des jeunes moujiks servant au sein de la glorieuse Armée rouge. Détaillant l’œuvre dont il aura la charge, Kartaplov a annoncé lors de sa première conférence de presse que le nouveau système verrait progressivement le jour d’ici au 1er mars 2019 via la mise en place de la nouvelle « direction militaro-politique », l’entrée en vigueur de ses structures à tous les échelons de l’armée et la formation de ses cadres au sein de l’Université militaire.

Bombardé du même coup vice-ministre de la Défense chargé des affaires politico-éducatives, Kartapalov a d’emblée explicité la raison de sa nomination aux journalistes d’Interfax: « Aujourd’hui, nous constatons qu’une guerre de l’information non dissimulée et franchement cynique est menée sur tous les fronts contre notre pays et nous devons nous défendre. Une propagande éhontée, des mensonges absolus sur de nombreux sujets et la réduction au silence notre point de vue contribuent à modifier la conscience politique de notre société. » Et de poursuivre : « La nécessité d’une protection de l’information destinée au personnel de nos forces armées, l’importance de la formation de leurs convictions patriotiques et de leur adhésion à nos principes traditionnels forment l’une des raisons pour lesquelles cette décision a été prise. » Avant de conclure en soulignant que ce « travail militaire et politique » systématique viserait tous les soldats, marins et officiers de la Fédération de Russie.

260 000 adolescents âgés de 11 à 18 ans

Pour accomplir sa mission, Kartapalov s’appuiera également sur l’organisation de jeunesse Younarmia (littéralement « armée de la jeunesse »), fondée en 2016 sous l’égide du ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Sorte de resucée à la sauce néo-soviétique de nos cocardiers bataillons scolaires, elle se fixe pour objectif « l’éducation patriotique de la nouvelle génération de citoyens russes ». Déjà forte de ses plus de 260 000 adolescents âgés de 11 à 18 ans, elle organise la jeunesse à grand renfort de séances de sport, de défilés au pas ou de cours magistraux hagiographiques consacrés à l’histoire de la «Grande Guerre Patriotique» (selon un prisme bien entendu très subjectif ayant aussi pour fonction de justifier, parfois, certains élans néo-impériaux).

À l’époque soviétique, les politrouki formaient une sorte d’ordre inquisitorial chargé de veiller à la solidité de la foi des soldats dans les canons du marxisme-léninisme. Intégrés à la hiérarchie militaire, il avaient pour tâche d’éduquer doctrinalement et de contrôler politiquement leurs camarades. Ils dépendaient étroitement de la GlavPur et du Parti Communiste. À la désintégration de l’URSS, cette institution se volatilisa en même temps que l’ancien système. La comparaison avec l’actualité récente est-elle tellement exagérée ?

Forteresse assiégée

Quoi qu’il en soit, la question de la forme précise que prendra la reprise en main est pour le moment entière tant ses contours restent incertains. S’il semble évidemment peu vraisemblable que Poutine place son appareil militaire sous la coupe réglée de moines-soldats fanatiques issus directement des rangs du parti Russie Unie, le retour à une certaine forme d’encadrement idéologique des soldats par l’éducation, la propagande et surtout la surveillance est d’ores et déjà une réalité.

Particulièrement soucieux de préserver sa marmaille des pernicieuses influences occidentales dans le cadre d’une guerre de l’information devenue mondiale, le président russe entend s’assurer de la loyauté de ses troupes alors que le contexte international est de plus en plus inflammable. L’obsession, traditionnellement prégnante à Moscou, d’une infiltration des sphères de pouvoir par des espions étrangers couplée à l’impératif de traquer d’éventuels islamistes tapis dans l’ombre de l’institution militaire constituent sans doute le reste de l’explication. Enfin, il n’est pas interdit de penser qu’il ne s’agit tout simplement là que d’un énième épisode s’inscrivant dans la longue entreprise d’ingénierie sociale consistant à organiser la soudure de la population russe autour de son chef en maintenant une mentalité d’assiégés en son sein. Avec plus d’un million de militaires d’active et des unités déjà engagées sur les points les plus chaud du globe, on comprend que l’enjeu est de taille.

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