La planète foot se mobilise contre Poutine. Mais l’immixtion de la FIFA dans les affaires du monde est une réalité assez récente.
Dans le monde du football, l’offensive russe en Ukraine commence à avoir des répercussions. Propriété depuis 2003 de l’oligarque russe Roman Abramovitch, le club londonien de Chelsea, vainqueur de la dernière Ligue des Champions, a vu son président quitter l’Angleterre dès les premières heures de l’invasion et laisser les rênes aux administrateurs de la fondation caritative de Chelsea. Proche de Vladimir Poutine, l’oligarque de confession juive et d’ascendance ukrainienne (qui a eu la bonne idée de ne pas trop se mêler de politique, contrairement à d’autres compatriotes milliardaires) aurait été sollicité par l’Ukraine pour mener les négociations avec Moscou et se trouverait actuellement en Biélorussie. En attendant, on parle d’une revente du club anglais, dont la valeur est évaluée à trois milliards d’euros.
Des Coupes du Monde ont été organisées chez Mussolini et Hitler
En cette année de Coupe du monde (qui aura lieu exceptionnellement en novembre-décembre, climat qatarien oblige), l’actualité internationale n’est pas sans incidences dans le petit monde du football. Lundi dernier, la FIFA a décidé d’exclure la Russie de sa prochaine compétition. Il faut dire que la sélection devait jouer un match de barrage contre la Pologne, qui avait manifesté son souhait de ne pas jouer contre son encombrant voisin. Dans un premier temps, la FIFA (et l’UEFA, organisatrice des matches de qualification) misait plutôt sur une sanction symbolique forçant la Russie, à jouer sur terrain neutre, sans hymne ni drapeau, à la manière d’une nation fantôme, un peu comme lors des derniers JO. La pression exercée par les autres fédérations européennes était devenue trop forte. Il est loin le souvenir de la dernière Coupe du monde organisée en 2018, quand la Russie accueillait des supporters de la terre entière et quand les joueurs de l’équipe de France, tout juste champions du monde, s’ambiançaient dans les vestiaires du stade Loujniki avec Vladimir Poutine. Il faut bien peu de temps au hard power pour détruire des années de construction d’un soft power finalement fragile.
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Il y aurait une histoire à faire des rapports entre les instances mondiales du football et les aléas de l’histoire politique. Plutôt épargnées par la guerre froide (alors que les Jeux olympiques faisaient l’objet de menaces permanentes de boycotts) peut-être parce que les Etats-Unis ne prêtaient à ce sport aucun intérêt à l’époque, elles ont su développé une realpolitik décomplexée, épargnée de toute moraline.
Avant-guerre déjà, la FIFA avait offert à l’Italie de Benito Mussolini une formidable vitrine en lui confiant la deuxième édition de la Coupe du monde, en 1934. Désignée pays hôte dans des conditions troubles, l’Italie remporta la compétition dans une atmosphère de propagande effrénée, où les techniques naissantes de battage médiatique autour des événements sportifs (timbres à l’effigie du mondial, affiches déployées sur tout le territoire…) se fondaient à merveille dans un environnement totalitaire. L’Italie remporta la compétition (les joueurs italiens n’avaient semble-t-il pas intérêt à se louper), au terme de matches violents. On raconte que Mussolini lui-même aurait désigné les arbitres de certaines rencontres. Quatre ans plus tard, pour la Coupe du monde en 1938, l’Allemagne nazie était bien décidée à faire savoir qu’elle avait réalisé l’Anschluss quelques semaines plus tôt aux lecteurs de L’Auto (l’ancêtre de L’Equipe) et intégrait de force plusieurs joueurs autrichiens, hormis Matthias Sindelar, l’un des meilleurs Européens de l’époque qui refusa d’intégrer la sélection germanique. Marié à une Juive italienne et traqué par la Gestapo, il décéda dans des conditions suspectes, officiellement à cause d’une intoxication au monoxyde de carbone. Malgré le renfort de ces joueurs autrichiens, la greffe n’a pas pris, et quelques années avant Stalingrad, l’Allemagne se faisait sèchement sortir par la Suisse.
Yougoslavie, Chili, Irak…
Pendant la guerre froide, la FIFA joue à fond l’équilibre entre Est et Ouest. Un joueur est-allemand passe discrètement à l’Ouest ? Il est automatiquement privé de pelouse pour un an. Dans l’esprit de la FIFA, il n’y a pas vraiment de régimes infréquentables, à part peut-être l’Afrique du Sud ségrégationniste. En novembre 1973, le Chili devait recevoir l’URSS pour un match de qualification au stade Nacional, qui depuis le coup d’Etat du général Pinochet en septembre, a plus accueilli d’opposants et de tortionnaires que de matches de football. En cherchant bien, on aurait peut-être pu retrouver sur la pelouse quelques doigts de pieds. L’Union soviétique, à la pointe du combat pour les droits de l’homme (surtout chez les autres) refuse alors d’envoyer son équipe. Devant 15 000 spectateurs, l’équipe chilienne donne le coup d’envoi dans un match sans adversaire. Elle marque un but et la « partie » s’arrête au bout de quelques secondes. La FIFA valide le ticket du Chili pour le prochain mondial.
Cinq ans plus tard, le général Videla remet la Coupe du monde à domicile au capitaine argentin Daniel Passarella, dans une édition à peu près aussi douteuse que celle de 1934.
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Au lendemain de la guerre froide, l’équilibre de la terreur laisse place à des instances improvisées gendarmes du monde. L’UEFA prive la Yougoslavie d’euro 92 quelques semaines avant le coup d’envoi (laissant sa place au Danemark qui l’emporta à la surprise générale). La FIFA en fit de même pour le mondial 94. Dans le même temps, il s’en est fallu de peu pour que l’Irak n’obtienne sa qualification pour la Coupe du monde américaine en 1994, alors que Saddam Hussein menaçait de se rendre en Amérique pour voir ses joueurs, si peu de temps après la guerre du Golfe.
Finalement, il n’y a que dans « The Big Lebowski » que l’on verra le raïs à Los Angeles.