« Back in the USSR » ! Le journaliste du quotidien russe Comnews ne mâche pas ses mots pour mettre en cause la nouvelle politique de censure mise en œuvre par le Kremlin au nom de la « protection de l’enfant».
La loi du 29 décembre 2010 n’aurait pas fait tant parler d’elle si elle s’était cantonnée à son but annoncé : lutter contre les contenus nuisibles sur internet, notamment pornographiques, qui perturbent l’environnement de l’enfant.
Mais son application s’est étendue à des domaines que l’on croyait intouchables.
Ainsi, le 10 février, le journal Isvestia révèle que le comité fédéral de surveillance de la communication et de l’information, Roskomnadzor, a pour projet de compléter la loi et d’interdire les nus, tableaux ou statues, aux mineurs. Les œuvres dénudées devront être étiquetées « interdites » et rendues impossible à la visite « au moins de 18 ans ». Ainsi, si la Vierge à l’enfant de Giovanni Antonio Boltraffio pourrait résister à cette mesure, d’autres œuvres du Musée de l’Ermitage, telles que Le Garçon accroupi de Michel Ange, représentant un garçon nu, seront définitivement éloignées des yeux innocents. Le nu étant considéré comme un élément érotique qui contrevient à la bonne santé morale de l’enfant. Un air de déjà vu ? Dans les années 30, le régime soviétique interdisait toute évocation sexuelle jugée décadente. La morale puritaine du soviétisme avait limité l’apprentissage de l’art par les écoliers qui n’avaient pas accès aux plus grandes toiles de maîtres tels que Rubens ou Velasquez.
Avant cette dernière proposition fédérale, les extensions tentaculaires de la loi pour la protection de l’enfant avaient déjà touché la population russe en plein coeur. Le dessin animé préféré de tous les petits slaves nommé « Mais, attends » a lui aussi été soumis à la censure. Le héros, un loup gris, a en effet été surpris en flagrant délit de propagande négative. Il osa fumer une cigarette à la manière d’un vieux cow-boy. C’en est fini du loup, la publicité pour tous produits nocifs, tels que le tabac ou l’alcool étant interdite par l’article 5 de la loi citée. Le principe est le même en France, mais les méthodes diffèrent. Chez nous, Lucky Luke a été contraint de mastiquer un brin de paille à la place de sa célèbre roulée. Le Kremlin a été moins inventif. L’objet illicite n’est pas gommé, c’est le dessin animé qui a été supprimé des programmes télévisés pour enfants. « Mais, attends » est désormais diffusé après 23h, quand les enfants sont couchés.
Autre cible de cette loi bienveillante : le rock. Les chansons de Louis Amstrong, des Pink Floyd, de Led Zeppelin ou d’Elton John sont considérées comme trop violentes et donc néfastes à la santé psychologique de l’enfant, au nom du même article 5. Tous ces tubes de rock et d’autres encore doivent être marqués d’une icône « interdit au moins de 18 ans ». La « chanson russe » populaire des années 90 n’est, elle, soumise à aucune restriction tandis que le groupe de hard rock métallique Accept est autorisé au plus de 12 ans. Le citoyen russe a du mal à comprendre les critères de la sélection, mais lui revient de nouveau l’âpre souvenir des années soviétiques. Le rock, vecteur de la propagande occidentale et source de contestation du peuple était, à l’époque, strictement interdit.
S’il n’est plus question de lutte contre la propagande et contre la débauche occidentale, l’interdiction de certaines œuvres aux mineurs, sous couvert de protection de l’enfance, ne laisse pas indifférent les amoureux de l’Art et des Libertés. Le maître du Kremlin avait mis entre parenthèses, le temps des Jeux Olympiques, sa politique sociétale déjà très controversée autour de la loi contre la propagande homosexuelle. La trêve touche à sa fin : la flamme olympique n’est pas encore éteinte que Poutine allume déjà des contre-feux.
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