À deux mois et 19 jours de la Coupe du Monde à domicile, le rugby français, incarné par Romain Ntamack, le héros de la finale du Top 14 du week-end, fait chavirer le cœur des supporters.
Cette année, je suis devenu « rugby » par la force des choses, par la force du mouvement, par la force du symbole, par la force de l’attraction. Et pourtant, dans mes souvenirs lointains, l’époque des derbys berrichons, sur des pelouses harassées, dans des matchs scolaires poussifs et éreintants où les mêlées s’effondrent lamentablement, où le ballon louvoie sous les poteaux se jouant de nos nerfs et où les demis ont du plomb dans les godasses, je peux vous affirmer que le rugby de ma jeunesse n’avait rien de virtuose et d’enchanteur, de véloce et de combatif. Je le croyais même, à tort, lourd et statique, atrocement figé, sans flamme intérieure ; je le redécouvre, à l’âge adulte, aérien, tactique, bravache, conquérant et émotif. Cette révélation, je la dois au Quinze de France durant le Tournoi des 6 Nations, au parcours européen de la Rochelle ces dernières semaines et aux soirs où l’USON Nevers Rugby en Pro D2 provoque des bouchons sur les ponts de la Loire comme lors du feu d’artifice du 14 juillet et réveille cette province assoupie. Le point d’orgue, le climax scénaristique de la saison a eu lieu samedi soir au Stade de France dans une finale opposant le Stade Toulousain au Stade Rochelais, les « rouge et noir » contre les « jaune et noir », on dirait un western présenté par Monsieur Eddy dans La dernière séance, un roman de Stendhal ou une BD d’Edgar P. Jacobs à moins que cela ne soit une aventure de Bob Morane. Qui de Julien Sorel ou du professeur Mortimer l’emportera ? A la toute fin, à la 75ème minute, c’est Romain Ntamack qui arrache un 22ème Bouclier de Brennus pour Toulouse sur le score de 29-26, avec une vista, un punch et cette soif de la gagne qui ne s’apprend pas sur les bancs d’une université déconstruite. Une erreur de placement, un espace libre, Romain n’avait pas besoin de plus pour s’extraire, se catapulter vers l’avant. L’instinct de la victoire comme seul moteur, seul carburant pour animer des cannes en feu pourtant mises à rude épreuve durant un match tendu, âpre, sans folie et solidement tenu jusqu’alors par les Maritimes. Oui, la Rochelle avait un doigt sur le Bouclier, presque une main dessus, mais samedi soir, le demi d’ouverture international possédait l’inexplicable, l’intangible, l’inexpugnable désir de s’élever – qu’on appelle ça, talent, grâce, puissance mystique ou dépassement héroïque. Les mots sont bien trop secs pour rendre compte de cet élan salvateur et libérateur. Hier, sobrement, sans emphase, il a déclaré dans les colonnes de Midi Olympique (Midol pour les intimes) : « J’ai accéléré, malgré les crampes, pour aller au bout de cette course ». Le bonheur, c’est simple comme un sprint de Romain. Dommage que les épreuves de philosophie du baccalauréat soient terminées car il y avait là, un sujet de dissertation sur la singularité et le travail d’équipe, ce tempétueux alliage entre un sportif et son groupe, entre une individualité et un bloc. Qui de l’un ou de l’autre apporte sa pierre à la victoire ? Romain a-t-il pu exprimer la quintessence de son génie créateur parce qu’il s’est appuyé sur une équipe soudée et résiliente ou parce qu’il est superbement doué et touché par les dieux du stade ? Les deux, mon capitaine.
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Cette année, nous avons déjà vécu un grand millésime dans des stades pleins, dignes, familiaux, sans beuveries, ni cris obscènes, dans un respect de l’Autre qu’il est bon de rappeler dans une France satellisée. Une forme de communion existe bel et bien dans l’Ovalie. Qu’ils soient Bleus ou bariolés, les joueurs de rugby professionnels ont redonné foi dans ce sport de contact, trop souvent décrié pour sa brutalité, la complexité de ses règles ou ses valeurs jugées réactionnaires. Comme tous les sports où l’enjeu financier sous-tend les relations, la vie n’est pas rose, les athlètes doivent être au top de la performance physique et psychologique avec le risque de tirer abusivement sur les corps, les coachs sont soumis aux fluctuations managériales, les institutionnels sont pris dans les guerres d’égo, le lot finalement de toutes les activités humaines où la passion et la réalité s’entrechoquent. L’arrière-scène nous intéresse-t-il vraiment ? Quand nous assistons à une représentation théâtrale, nous nous moquons des jalousies entre comédiens, tapies derrière le rideau, des chausse-trappes et des savonnettes, seules la beauté du texte et l’incarnation nous saisissent. Avec le rugby, rien ne remplace le verdict du terrain et l’instant présent. Alors, nous avons hâte de retrouver notre équipe nationale et, aux commentaires, notre confrère Matthieu Lartot dont la voix accompagne si merveilleusement les rencontres, le vendredi 8 septembre à 21 h 15 à Saint-Denis pour le premier match de la Coupe du Monde contre la Nouvelle-Zélande.
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