L’équipe de France féminine de rugby a remporté ses trois rencontres et jouera, aujourd’hui même, la demi-finale de la Coupe du monde[1. La France accueille du 1er au 17 août 2014 la Coupe du monde féminine de rugby] face au Canada.
Pas facile d’imaginer que le rugby soit décliné au féminin, encore moins que ce jeu si brutal puisse devenir un rêve de petite fille. Manon l’admet : « C’est sûr, c’est un sport de combat, on se rentre dedans ». Le parcours de la joueuse a toujours été une bataille menée sur double front : lutter contre les stéréotypes, y compris ceux que la femme a elle-même intégrés.
Ses parents ambitionnaient autre chose pour leur enfant : « Ils ont tout fait pour que je ne fasse pas de rugby, raconte la grande musclée qui a touché son premier ballon ovale à 18 ans. Au début, ils m’ont orienté vers la danse, l’équitation, puis le basket, considéré comme plus adapté aux filles ». Un détail au détour d’une réponse qui dévoile l’évolution de la vision de « genres » au sein de la société française.
Mais Manon est de la trempe de ces athlètes qui imposent leur vision. À peine entrée à l’Université Toulouse III, elle cède à la tentation des crampons et s’inscrit en équipe universitaire. Sans surprise, ce choix n’est pas passé facilement auprès de ses proches et il aura fallu attendre sa sélection en équipe de France, il y a quatre ans, pour que la fierté et le prestige prennent le dessus des préjugés sexués. Depuis, assure-t-elle, « mes amis et ma famille me suivent.»
En revanche, le problème ne se pose pas avec les hommes de sa propre génération. Rencontré il y a dix ans dans une salle de sport, Matthieu, préparateur physique, partage la passion de son amie et la soutient dans ses entraînements. N’aurait-il pas préféré le déhanché sexy des pom-pom girl aux empoignades des rugbywomen? Le coach répond à la volée : « J’ai plus d’estime pour les valeurs de courage et d’investissement que porte Manon ».
Quand on pénètre dans le domaine de l’intime, une autre question se pose, plus lourde encore sur la balance du rôle des sexes : la maternité. Même ceux qui n’y connaissent pas grand chose comprennent aisément que la pratique du rugby de haut niveau n’est pas compatible avec une grossesse. Ainsi, pour se maintenir dans la sélection mondiale, la sportive de 27 ans refuse de penser aux enfants : « J’ai décidé de continuer ma carrière ». Une décision qu’un certain nombre de femmes prennent alors même que la dimension physique de leur univers est moins brutale. Pourtant, pour Manon André « c’est un choix difficile à prendre ». D’ailleurs, « Il y en a beaucoup dans l’équipe qui veulent avoir des enfants, mais seulement une est déjà maman ». Cette dernière l’a payé au prix fort : après 18 mois d’arrêt, elle a dû batailler pour récupérer sa forme physique.
Mais le problème ne s’arrête pas à la grossesse : « En fait, le plus compliqué, c’est de s’entrainer tous les jours pour l’équipe de France, pour le club, de travailler et en plus de s’occuper des enfants. » Car ne l’oublions pas, dans l’équipe de France féminine, toutes ont un statut d’amateur. « Aucune fille ne gagne sa vie en jouant au rugby » commente Sandra, une coéquipière de Manon.
Les clichés sur la prétendue virilité des joueuses ? Manon André s’en tamponne : « Ce qui compte, c’est d’abord de montrer qu’on sait jouer au rugby ». Ensuite « quand les spectateurs nous voient sortir, ils se rendent compte qu’on peut, en plus, être séduisantes ».
Le rugby a même été un déclencheur de féminité : « Depuis que je joue au rugby, je fais plus attention à moi ». Il l’a valorisée : « J’étais grande et costaude, c’est devenu un atout sur le terrain. » En plus, et « peut-être de façon inconsciente, j’ai cherché à compenser l’image masculine du rugby. J’hésite beaucoup moins à me maquiller, à porter des robes ». Compenser, comme s’il fallait porter des tenues glamour pour troquer le droit de faire les gros bras.
La grande blonde au brushing parfait confie même que la « remise en beauté » dans les vestiaires, à la fin d’un match, est un moment sacré. Un temps « bien plus important » qu’il ne l’est chez les filles du basket. Petit plaquage en règle contre celles qui sont réputées pratiquer un sport plus approprié aux demoiselles – rappelez-vous, même ses parents le lui ont conseillé ! Sandra précise : « Nous aimons toutes nous repoudrer mais Manon est une des plus coquettes! » Et hop, balle en arrière pour celles qui luttaient pour la reconnaissance du droit à une image « musclée » chez les femmes.
Sandra rigole encore en racontant le dernier affrontement-test avant le début de la Coupe du Monde : « Le lendemain, Manon avait un mariage. Elle voulait se mettre en robe et espérait de tout coeur ne pas recevoir de coups et éviter les bleus. Mais voilà, en plein match, pas de chance, elle a reçu un coup de coude sous l’oeil. Je me rappellerai toujours du regard comique qu’elle m’a jeté à ce moment-là, qui voulait dire : « Oh non ! »
Les admirateurs de rugby féminin sont plus nombreux que prévus. Les audiences sont inattendues. Qu’y a-t-il derrière cet engouement ?
Un encouragement pour une nouvelle avancée de l’égalité homme/femme ? Un applaudissement pour un sport amateur, où l’on oublie le sexe derrière les équipements ? Ou peut-être, un amusement pour un sport de combat dont les maillots étriqués, baignés de boue, suggèrent plus une scène de lit échaudée qu’un échange de ballons règlementé ?
Et où est la victoire des filles ?
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